Extrait
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Sarah Winchester, opéra fantôme

Bertrand Bonello

2016 - 24 minutes

France - Fiction

Production : My New Picture, Opéra national de Paris

synopsis

Un opéra qui n’existe pas. Un opéra fantôme, joué à Bastille et dansé à Garnier. Un lien – quasi mystique – entre les deux scènes.

Bertrand Bonello

Bertrand Bonello est né en 1968, à Nice. Musicien, il participe aux tournées de Françoise Hardy, Elliott Murphy, Gérald De Palmas ou encore Daniel Darc, puis décide de se consacrer au cinéma. Il réalise trois courts métrages : Juliette + 2 (1994), Le bus d'Alice (1995) et Qui je suis (1996), d’après Pier Paolo Pasolini.

Son premier long métrage, Quelque chose d'organique (1998) est une histoire d'amour tragique portée par Romane Bohringer et Laurent Lucas. Son deuxième long, Le pornographe (2001) avec Jean-Pierre Léaud, dresse le portrait d'un réalisateur de films X vieillissant et névrosé. Le film obtient le prix Fipresci à Cannes. Il poursuit le thème de l'identité sexuelle avec Tiresia (2003) sur un transsexuel brésilien.

En 2005, il revient au court métrage avec Cindy, the doll is mine, dans lequel Asia Argento joue un personnage inspiré de la photographe Cindy Sherman. Il compose un album My new picture (2007) dont il en tirera un film éponyme. En 2008, il réalise De la guerre, une comédie dramatique avec une dimension autobiographique.

En 2010, il tourne le court métrage Where the boys are. Un an après, sort L'Apollonide, souvenirs de la maison close, sur le quotidien d’une maison close à la charnière du XIXe et du XXe siècle. Il réalise Saint Laurent (2014), d’après la vie du couturier Yves Saint Laurent, avec Gaspard Ulliel, film qui représentera la France aux Oscars. En 2015, Bonello réalise Nocturama, un film sur une jeunesse rebelle, nihiliste et anti-capitaliste.

Pendant le montage de ce long, il accepte la carte blanche de la 3ème Scène de l’Opéra de Paris et revient au court métrage avec Sarah Winchester, opéra fantôme.

En 2019, il réalise le long métrage Zombi Child et tient ensuite un rôle dans le long métrage primé à Cannes de Julia Ducournau Titane (2021). Il enchaîne avec la réalisation d'un film hybride, Coma, en 2022. Le film est actuellement en salles.

Bertrand Bonello vient également de terminer son prochain long métrage La bête, dont la sortie est prévue pour 2023.

Critique

Dans Winchester 73 (1951), Anthony Mann faisait de la mythique carabine à répétition un objet maudit engendrant un funeste destin pour chacun de ses propriétaires successifs. Héritière, à la mort de son mari, de la fortune de sa société, Sarah Winchester sombre dans la dépression après le décès de sa fillette, Annie. Convaincue que les esprits des cohortes de victimes imputables aux armes vendues par son mari la pourchassent, elle consulte un médium. Sur ses conseils, elle entreprend des travaux d’agrandissement de sa maison, colossaux et ininterrompus jusqu’à sa mort, trente-huit ans plus tard. Chaque nouvelle pièce inhabitée devait loger les âmes errantes. C’est au destin tragique de cette femme qui s’évertue à emprisonner les fantômes d’une nation violente que Bertrand Bonello consacre Sarah Winchester, opéra fantôme, produit par l’Opéra de Paris dans le cadre de sa 3e scène.

Cette plateforme lancée par Stéphane Lissner en 2015 fait partie du projet numérique de l’Opéra de Paris. Elle accueille des œuvres commandées par l’institution à des cinéastes, plasticiens, photographes, écrivains en leur donnant pour seule contrainte un rapport – aussi ténu soit-il – à l’art lyrique. Bertrand Bonello s’en est emparé pour créer une esquisse d’opéra qui met en scène un solo dansé par l’étoile Marie-Agnès Gillot, une partition de musique électronique et la lamentation des fantômes chantée par le chœur de l’Opéra. Tournées très rapidement en novembre 2015 pendant le montage de Nocturama, ces captations de travail en cours sont celles d’une œuvre originale et parcellaire. Une œuvre fantôme, en somme, puisque nous savons que l’opéra en question n’existera jamais davantage que dans ces bribes révélées par le film.

L’obsession de redonner vie à des projets mort-nés n’est pas neuve chez le cinéaste. Elle était déjà au cœur de son livre Films fantômes, publié en 2014. Il présentait dans cet ouvrage les scénarios de projets de films très avancés n’ayant pu être réalisés et dont il porte encore le regret. Ici, certes, le discours du metteur en scène (Reda Kateb) intervient comme une façon de raconter au spectateur le destin de son héroïne et de diriger la danseuse qui prépare son solo. Mais il est aussi une façon d’inscrire au sein du film le repentir de l’opéra inachevé en train de se faire.

Chimère qui mêle l’évocation en dessins de la véritable demeure Winchester de Californie et le gigantisme des espaces de l’Opéra de Paris, le décor clos du film est un espace mental autant que cinématographique, à l’image de ce champ/contrechamp entre le metteur en scène et sa danseuse qui crée un lieu purement fictionnel en mélangeant la salle de Bastille et la scène de Garnier. Si le titre du film semble indiquer que la femme de l’armurier est l’héroïne de l’histoire, il ne faut pas négliger sa seconde partie ; “opéra fantôme” nous indique que, comme dans De la guerre (2008), L’Apollonide (2011) ou Nocturama (2016), le personnage principal n’est autre que le décor du film. Soit, ici, une scène peuplée des spectres des œuvres qui y furent représentées.

Raphaëlle Pireyre

Article paru dans Bref n°122, 2017 (avec un entretien avec le réalisateur).  

Réalisation et scénario : Bertrand Bonello. Image : Irina Lubtchansky. Montage : Fabrice Rouaud. Son : Jean-Paul Mugel, Yves-Marie Omnès, Nicolas Moreau et Jean-Pierre Laforge. Musique originale : Rob, Bertrand Bonello et Moritz Reich. Interprétation : Reda Kateb, Marie-Agnès Gillot, Juliette Vial et les chœurs de l’Opéra national de Paris. Production : My New Picture et Opéra national de Paris.

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