Extrait
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Sami la fugue

Vincent Tricon

2021 - 25 minutes

France - Fiction

Production : Barney Production

synopsis

C’est l’hiver en Franche-Comté. Sami est interné en centre psychiatrique. Un jour de visite, sa mère et sa petite sœur lui apprennent que leur cheval est mort.

Vincent Tricon

Vincent Tricon est né en 1985 à Évry. Il grandit dans le Sud et y fait ses études, à Toulouse en IUT Communication des entreprises, puis à Montpellier en cinéma audiovisuel. Il réalise alors ses premiers films expérimentaux, puis intègre la Fémis. Ses films entrent au catalogue de Light Cone et il devient monteur de courts et longs métrages, se voyant nommé au César 2016 du meilleur montage.

Il écrit et réalise en 2017 et 2018 Brûle cœur et Glister, ses premiers courts métrages de fiction. Le premier est notamment sélectionné à Premiers plans, à Angers, et à Côté court, à Pantin, tandis que le second, également sélectionné à Angers, est interprété, entre autres, par Daphnée Patakia et Valentine Cadic.

À propos de Lanzarote en général et de Michel Houellebecq en particulier suit, toujours produit par Barney Production, et concourt en compétition nationale au Festival de Clermont-Ferrand 2021, pour une édition dématérialisée.

Sami la fugue, son film suivant, connaît un remarquable succès dans les festivals. Il reçoit ainsi, parmi une kyrielle de récompenses, le Prix du public, celui du meilleur jeune espoir masculin et le Prix Adami de la Révélation francophone au festival Jean-Carmet, avant le Grand Prix et le Prix d’interprétation masculine à Paris Courts devant en 2022.

Critique

Un décor médical d’un blanc aseptisé, des hurlements, une caméra branlante penchée au-dessus de l’épaule d’un soignant, une camisole entre-aperçue. C’est un incipit in media res, presque repoussant par ces cris colériques d’abord, découragés ensuite. Sans contexte aucun, le jeune homme qui les lance nous apparaît lointain, inaccessible, dans le sens de différent. Mais la voix d’une petite fille hors-champ chuchote bientôt son prénom. Alors la brutalité s’évapore et une écriture vert fluo vient nimber l’écran d’un Sami la fugue, personnification inversée ou figure d’analogie que se serait approprié un enfant. Cette séquence pourrait se faire mise en abyme du dispositif que Vincent Tricon prête à son film, de la place qu’il nous offre. Un aller-retour entre colère et apaisement, imperméable et sensible, antipathie et attache, point de vue externe ou interne. 

Paumé en pleine Franche-Comté hivernale, le centre psychiatrique est filmé de manière documentaire, explorant chaque recoin, saisissant des gestes anodins, capturant des visages préoccupés. Le souci d’inscrire Sami dans un décor vraisemblable est palpable – en attestent les remerciements sur le générique défilant – au point de semer le doute sur la possibilité d’un réel internement, d’un patient-acteur. Alors, quand sa mère et sa petite sœur Sonia viennent lui rendre visite, notre sensibilité a été éveillée à son visage, à chacune de ses émotions. Et donc à son regard plein d’amour dirigé vers le dessin que sa sœur lui tend. Elle y a illustré un trio : lui, elle et Gaya, leur cheval. Leur trait d’union, être de retrouvailles. C’est un moment suspendu, poétique, bientôt dissipé par des mots secs, pris avec des pincettes. “Elle est morte, Gaya.” Une sidération, un déchirement silencieux.

Cependant, en collant au plus près de la subjectivité de son personnage, Vincent Tricon balaye la dimension mortifère de la solitude dénoncée par Lamartine – “Un seul être vous manque et tout est dépeuplé” – pour en faire le point de départ de la quête, l’origine d’un désir altruiste. Pour Sami, c’est sa sœur qu’il faut à tout prix sauver du chagrin. Très vite alors une résolution s’esquisse, celle d’une fugue, un acte pour combler un manque qui n’est pas le sien. À la faveur d’un mini voyage dans le Haut-Doubs se tracent les enjeux d’une réincursion dans un monde qui ne lui appartient plus simultanément à ceux d’une réappropriation de tout son être. Un road-movie clopinant et hasardeux, construit en galerie de brefs moments hétérogènes, dans un cadrage qui, s’il pouvait oppresser dans le centre de soins, lui laisse ici la liberté de s’éloigner et se perdre. De se sentir vivant et de nous permettre de ne faire qu’un avec sa folie. Peut-être est-ce alors de ça que naît la véritable empathie. 

Ce court métrage approche la maladie sans en dresser un diagnostic, retient la part poétique de l’idiosyncrasie sans craindre de se frotter à l’altérité. Évoluant jusqu’ici dans l’ombre blanche de la post-production, puisque nommé aux Césars pour le montage de Divines et opérant en tant que chef monteur sur les plus récents Le monde après nous ou L’été l’éternité, Vincent Tricon revient en amont du processus créatif et s’attèle à la réalisation, dans une soucieuse efficacité et sensibilité. Dans Sur l’Adamant de Nicolas Philibert, un patient se désole que ceux qu’on nomme “les fous” souffrent d’un manque d’image. Sami la fugue la leur donne, en un pas vers l’autre, par une belle main tendue.

Lucile Gautier

Réalisation et scénario : Vincent Tricon. Image : Julia Mingo. Montage : Jean-Baptiste Alazard et Vincent Tricon. Son : Lucas Doméjean, Marc-Olivier Brullé et Paul Jousselin. Interprétation : Idir Azougli, Eva Aldrin Sebregondi et Géraldine Pochon. Production : Barney Production.

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