
1994 - 27 minutes
France - Documentaire
Production : Frédéric Robbes Productions
synopsis
C’est l’histoire de "Roland" qui passa de longues années en prison. Il tenta de s’évader souvent, réussit six fois à le faire. Il jouait son propre rôle dans le film de Jacques Becker "Le trou". Son histoire est racontée ici à deux voix, la sienne et celle de sa fille.
biographie
Lucien Dirat
Né en 1957, Lucien Dirat est monteur et réalisateur. Après avoir participé au montage du long métrage La fille de Prague avec un sac très lourd de Danielle Jaeggi (1979), il réalise son premier court métrage, Roland, en 1994 et enchaîne avec un deuxième, Ici octobre, en 1996.
Tous deux sont présentés au Festival de Clermont-Ferrand, entre autres, et Roland est nommé au César du meilleur court métrage en 1996.
En 2000, Lucien Dirat co-réalise avec Nathan Miller Arsène, un documentaire sur le célèbre “gentleman cambrioleur” imaginé par Maurice Leblanc.
Critique
À la fin des années 1950, Jacques Becker filmait cinq hommes à fleur de peau, cinq détenus claquemurés dans une cellule de la prison de La Santé. Quand le film, Le trou, sort en 1960, Becker n'est plus, mais de cette aventure (fondée sur un fait réel), il nous laisse entrevoir un peu de cette lumière que n'arrêtent pas les barreaux : Jo, Manu, Monseigneur, Roland et Gaspard respirent et transpirent l'idée de liberté que le cinéaste défendit tout au long de son œuvre. Le trou est plus un film sur le tremblement de l'homme dans son rapport à la liberté - le titre devrait nous le rappeler- que sur l'évasion proprement dite. Il s'achève sur la parole que Roland (celui qui a préparé l'évasion “au p'tit poil” et dont Becker reprend l'expérience) adresse à Gaspard (celui qui a trahi) : “Pauvre Gaspard”.
Le film de Lucien Dirat, Roland, est l'écho de cette parole. Reprenant quelques séquences du Trou, il s'interroge sur le parcours de cet homme/personnage éponyme du film. Deux voix s'enchâssent dans le film : celle de la fille de Roland et celle de Roland lui-même.
La fille de Roland raconte l'itinéraire de son père, perpétuellement en partance. Dans son récit se mêlent admiration et mystère, reproches et pardon. Les années de prison sillonnent la vie de Roland (il volait des tickets de rationnement pendant la seconde guerre mondiale, mais c'est pour ses évasions et tentatives d'évasion qu'il passa douze ans de “mitard en mitard”,). Il eut deux filles pendant cette période, “fruits de ses évasions”. Lorsqu'il sort de prison, à trente-six ans, il répare des voitures (on se souvient de la première séquence du Trou, où Roland, courbé, les mains dans un moteur de voiture, se redresse et se dirige vers la caméra pour présenter le film de son “ami”, Jacques Becker). Il rencontre alors la mère de la narratrice et quitte définitivement sa famille. Stigmatisé par son expérience carcérale, il perd la parole et la mémoire pour les retrouver partiellement avec le temps. Sa voix porte en elle ce “trou” et l'on ressent à l'entendre l'ambivalence et l'ambiguïté de cet homme tantôt parcimonieux, tantôt prodigue. “Le commerce des hommes m'a toujours été très pénible” (sa fille raconte qu'aujourd'hui, il vit seul “dans une bicoque”).
Dans Le trou, Roland prodiguait ses conseils pour mener à bien l'évasion; son silence reflétait sa compréhension de l'autre (notamment lorsque Jo lui confie qu'il ne s'évadera pas). C'est avec la matière que Roland dialogue volontiers. Ses mains sont meurtries mais agiles (il fit sa première évasion à sept ans en crochetant une serrure). Les deux voix se rencontrent quand, à la fin du film, la fille reprend une parole que lui dit un jour son père : “je sais que toi aussi tu cherches ; j'espère que tu chercheras toute ta vie et que tu ne trouveras jamais”. Cette parole renvoie au film de Becker et éclaire la vie de Roland. Ce récit à deux voix s'accompagne de nombreux plans – photos, séquences du Trou, extraits de Cinépanorama et des Dossiers de l'écran où Roland est intervenu, Roland aujourd’hui, plans de La Santé sous des angles différents, etc. – habilement montés et investis par Lucien Dirat. C'est la troisième voix du film.
Passé et présent se hantent et se confrontent. Le film, malgré la relative corrélation entre les mots et les images, parvient à respirer et résonner intimement, sans jamais violer le secret que porte en lui Roland ; on apprend son amour des fleurs, mais que signifie cette rose rouge en exergue du film ? Lucien Dirat fait-il allusion aux “miraculés de la rose” qui hantent la mémoire de Roland ? Outre le travail de reconstitution, Lucien Dirat s'inscrit dans un véritable rapport au cinéma. La forme documentaire de son film prend sa source dans l'intensité de la mise en scène de Jacques Becker (celui-ci reprenant avec précision les indications de Roland). Les deux films dialoguent entre eux jusqu'à faire de Roland un personnage de cinéma, au sens où l'entendait Serge Daney (“un personnage de cinéma, c'est quelqu'un qui n'appartient jamais à un seul film”). Roland passe mais ne reste pas. Roland s'évade au sens propre comme au figuré.
Il aurait pu faire partie des Portraits d'Alain Cavalier. Un plan dans le film de Lucien Dirat nous permet d'émettre ce possible : Roland assis, les mains croisées, scrute l'horizon puis regarde la caméra. Il ne manque qu'un objet dans ses mains pour qu'il le palpe, le façonne ; il ne manque que quelques mots sur ses lèvres pour qu'il parle de cette chose qu'on cherche toute sa vie et qu'on ne trouve pas...
Yann Goupil
Article paru dans Bref n°23, 1994.
Réalisation et scénario : Lucien Dirat. Image : George Lechaptois. Montage : Clémence Bielov. Son : Sophie Chiabaut. Musique originale : Hélène Martin. Interprétation : Roland Barbat. Production : Frédéric Robbes Productions.