Extrait
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Roberto le canari

Nathalie Saugeon

2017 - 19 minutes

France - Fiction

Production : 10:15! Productions

synopsis

Un père voit l’équilibre de sa famille se fragiliser à la suite d’un accident dont est témoin son fils.

Nathalie Saugeon

Née en 1971, Nathalie Saugeon est auteure, scénariste et réalisatrice. Elle écrit, tourne et réalise depuis les années 1990 et compte une trentaine d'œuvres à son actif.

Pour le théâtre, elle a écrit Pas de fleur pour maman (1995), Histoire de vivre (1999), Le voisin du troisième (2006), Cinq minutes avant l'aube (2006), Face au Paradis (2010), etc.

Pour le cinéma, elle est a collaboré à divers scénarios de longs métrages, parmi lesquels Ali Zaoua, prince de la rue de Nabil Ayouch (2001), Mascarades de Lyès Salem (2008), Le fils de l'autre de Lorraine Lévy (2012), Ma révolution de Ramzi Ben Sliman (2016) ou encore Mignonnes de Maïmana Doucouré (2020) et Fario de Lucie Prost (2024).

Elle a réalisé quatre courts métrages : Didier R.A.S. (1999), Un 14 juillet (2003), Fils de justicier (2006) et Roberto le canari (2017). Ce dernier a été sélectionné en 2018 et 2019 dans de nombreux festivals en France (Aix-en-Provence, Clermont-Ferrand, Grenoble, Lille, Montluçon, Pantin) et à l'étranger (Hof, Kiev, Richmond, Toronto…), remportant le Prix du public de la compétition internationale au BSFF, à Bruxelles.

Elle est aussi intervenue sur l'écriture de plusieurs séries, dont Les revenants (2011), Kaboul Kitchen (2011), Héroïnes (2017), Place de la Nation (2023) ou encore L'intruse (2025).

Critique

La caméra parcourt les draps sur lesquels est venue se déposer une douce lumière matinale. Les plis formés sont comme autant de rhizomes ou de veines ; l’image est haptique, picturale, presque caravagesque. Bientôt deux mains se rejoignent et l’organicité de cet incipit est décuplée. Mais l’élan qui anime Elsa et Julien, à ce moment précis, se voit freiné par l’arrivée inopinée de leur fils, Max, son canari mort entre les mains. Le comique de situation tombe juste. Et le choix d’un titre éponyme dédié au piaf, le plaçant en main character, avec innocence, est réfléchi. Nathalie Saugeon ouvre son quatrième film court en se mettant à hauteur du petit garçon, en se glissant dans son regard, dans cette peine, que ses parents devront combler. L’objectif est alors simple : il s’agira d’organiser pour Roberto un enterrement digne de ce nom, en grandes pompes, avec toute la famille réunie samedi chez mamie. Ce dessein, d’une simplicité déroutante, orchestrera toutes les actions du film avec efficacité sans perdre en sensibilité. La maîtrise de l’ellipse est frappante ; entre les moments que la coupe aspire et ceux qui doivent à raison être dilatés, l’équilibre est trouvé. Monde des enfants oblige, les préparatifs de l’enterrement n’auront rien de très solennel, prêtant du sens à des choses et des gestes jusqu’ici insignifiants : le congélateur servira de morgue, des bâtons de Magnum feront office de croix, une boîte de chocolat de cercueil. Tout paraît plus simple, plus doux, né d’une évidence qui n’appartient qu’à Max.

Mais peut-être était-ce trop doux. À chaque note en majeur s’y adjoint indubitablement une en mineur. À son premier tiers, le film se scinde, sans totalement bifurquer, pour dévoiler une seconde couche de lecture. Alors que les silhouettes isolées d’Elsa et Julien s’enlacent, emportées par la beauté déchirante des Pêcheurs de perles de Bizet, reste dans ses doigts à lui une mèche de cheveux à elle, anormalement épaisse. Quelques minutes plus tard, un reflet dans le miroir anticipe la chimio, balayant le doute. L’histoire d’Elsa est amorcée à cet endroit, en synonyme morbide de celle de Roberto. C’est une reprise en canon du récit, une octave en dessous, permettant d’atteindre une rare intensité. Les lignes narratives s’entremêlent sans que la seconde ne déforce la première ; chacune se fait mise en abyme de l’autre, entraînant une poésie interne. Du frottement de ces deux perceptions du monde, aux registres antagonistes, mais couverts par le même champ lexical du deuil, ressort la nécessité de considérer la peine de chacun, sans jugement condescendant. Toute la justesse et la subtilité de ce film se concentre ainsi dans ce puzzle d’associations, de résonances voire de rimes, qui nous est donné à reconstruire, nous spectateurs, plongés dans la confidence, portant également le poids du lourd secret.

Fort heureusement, sur fond noir, les touches colorées ressortent. Et avec le contraste simultané, elles se mettraient presque à briller. Alors, en affrontant la mort en face, ce court métrage célèbre l’espoir, s’en fait ode. Quand, par inadvertance, “Boy, You Fucked Up” s’invite en premières notes aux obsèques du canari, Nathalie Saugeon nous accroche à la vie. Le fou rire déclenché fait du bien et rappelle que le combat contre le cancer se poursuit aussi là, dans ces tranches de rire suspendues. Résonne alors sur les derniers plans l’écho que provoque la simple joie d’être en vie.

Lucile Gautier

Réalisation et scénario : Nathalie Saugeon. Image : Vincent Mathias. Montage : Marie-Pierre Frappier. Son : Maxime Gavaudan et Jean-Lionel Etcheverry. Musique originale : Baptiste Charvet. Interprétation : Élodie Bouchez, David Kammenos, Keanu Peyran, Michèle Simonnet, Clément Bresson, Laurie Lévêque, Romane Kolkowicz et Emma Grandjean. Production : 10:15! Productions.

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