Extrait

Rapide

Paul Rigoux

2022 - 24 minutes

France - Fiction

Production : GREC

synopsis

Jean est un “lent”, qui construit son existence autour de ses angoisses et se considère inadapté à la vie en société. Il est en colocation avec Alex qui, lui, est un “rapide” se posant le moins de questions possible. Un matin, ce dernier invite chez eux une amie “rapide”, Lou, alors que Jean avait prévu de recevoir une amie “lente”, Caroline.

Paul Rigoux

Après avoir grandi à Bordeaux – où il est né en 1994 – et y avoir suivi des études de droit, Paul Rigoux obtient un Master 2 à l'université Jean-Moulin/Lyon 3 et gagne Paris, intégrant la Fémis en section distribution. En parallèle de son cursus, il réalise un premier court métrage avec ses amis de l'école : Ainsi commença le déclin d'Antoine.

Après plus d'une trentaine de sélections dans les festivals saluant ce coup d'essai, il est lauréat du concours de scénarios du GREC, qui lui permet alors de réaliser Rapide. Il y retrouve ses interprètes Abraham Wapler et Mélodie Adda, rejoints pour le coup par Édouard Sulpice et Mathilde Weil.

Rapide rencontre à son tour un succès considérable, remportant notamment le Grand prix au FIFIB en 2022, le Prix du public au Festical Premiers plans d'Angers 2023 et le Prix du meilleur premier film à Côté court, à Pantin, la même année, avant de figurer dans la sélection du César 2024 du meilleur court métrage de fiction.

En 2025 commence à circuler un nouveau court réalisé par ses soins : Il manque toujours quelque chose (surtout quand on ne sait pas quoi chercher). Interprété par Abraham Wapler, de nouveau, et Clara Pacini, il est présenté à Entrevues, à Belfort.

Paul Rigoux est aussi musicien, au sein du groupe Bancal, qu'il a de surcroît cofondé en 2017.

Critique

Il en va de la manière de s’habiller, de porter ou non des lunettes aérodynamiques, ou même de la façon de se faire la bise, mais la répartition des lents et des rapides dans la société commence là !

Le deuxième court métrage de Paul Rigoux débute dans un appartement où Alex ouvre d’un geste sec un rideau sur le corps endormi de son pote Jean. Il est pourtant midi, la journée est déjà bien avancée. Le rideau se lève sur le petit théâtre de la vie quotidienne d’une colocation. Jean a mal dormi, il consulte sa boucle WhatsApp, salue les “spasmos” dont il fait partie, dépose un message et consulte ceux des autres. Alex accueille Lou, son amie “rapide”, quand Jean est déjà anxieux de présenter son amie “lente”, Caroline. 

Le cœur (ou chœur !) du film est désormais constitué et ses enjeux ne tardent pas à apparaître. Les rapides défendent leurs idées : “La vitesse, c’est vivre dans l’immédiat, car le présent se raccourcit. Il est question, autrement dit, de l’accélération sociale : on a l’impression que tout va trop vite, phénomène que les réseaux sociaux ont accentué. 

C’est bien sûr pendant le confinement de 2020 que Paul Rigoux a eu l’idée de cette comédie désopilante où le burlesque le dispute au doux-amer. Il trouve l’astuce d’incarner le débat philosophique par la confrontation de corps différents, vêtus selon leurs croyances : tee-shirt moulant et cheveux gominés pour Alex le rapide, au corps “impétueux” et à la dégaine influencée par Matrix (très bon Abraham Wapler) ; chemise ouverte sur tee-shirt blanc pour Jeannot, lent et inquiet, interprété par l’excellent Édouard Sulpice, révélé par Guillaume Brac en 2020 dans À l’abordage, où son jeu était déjà inspiré (consciemment ou pas) par le Bernard Menez des films de Jacques Rozier et de Pascal Thomas. 

Un jeu de ballon aux règles étranges permet de développer, en termes de mise en scène, le comique de situation avant que la parole ne prenne le relais dans de longs plans séquences dynamiques où les dialogues se déploient entre les quatre personnages. Lou et Caroline (Mélodie Adda et Mathilde Weil, formidables) vont notamment démontrer que la frontière entre les rapides et les lents n’est pas aussi solide et que nous sommes constitués, au fond, un peu des deux. “Le temps qui passe, passe différemment selon ce que tu fais, il faut toujours le rappeler !

Derrière la fable ultra contemporaine (Rapide réinvente un peu, mine de rien, Le lièvre et la tortue de La Fontaine…), le film est travaillé par une gravité légère qui émeut profondément. Il raconte aussi la dépression latente des jours de guerre et de crise, celle qui pousse à trouver des portes de sortie tout en continuant de célébrer l’amour. Ultra contemporain, aussi, par sa manière de mêler les références les plus extrêmes, entre littérature russe (l’Oblomov d’Ivan Gontcharov) et euro-dance (le thème musical Take My Heart Away), Rapide raconte aussi le romanesque de nos vies intimes et fait au final un pari ludique et fou, celui d’essayer de ralentir la vitesse effrénée de notre époque.

Bernard Payen

Texte paru dans Bref n°129, 2024

Réalisation et scénario : Paul Rigoux. Image : Quentin Lacombe. Montage : Ugo Simon. Son : Louis-Julien Pannetier et Hugo Cohen. Interprétation : Mélodie Adda, Édouard Sulpice, Abraham Wapler et Mathilde Weil. Production : GREC.