Extrait
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Raout Pacha

Aurélie Reinhorn

2019 - 28 minutes

France - Fiction

Production : Les Quatre Cents Films

synopsis

Varec, être instable condamné à des travaux d’intérêt général, rencontre le fantasque Clint qu’il initie aux joies du travail forcé. Non loin de là, Jo se débat parmi les musiques d’attentes téléphoniques de l’administration française. Sur un air de chorale disco-punk, trois anti-héros ont des doutes sur la notion de travail.

Aurélie Reinhorn

Née en 1988, Aurélie Reinhorn a passé son enfance dans différents pays (Maroc, Guyane, Madagascar, Sénégal, Luxembourg) et plusieurs endroits en France, avant de gagner Paris, à dix-huit ans et de se former au théâtre. Au Conservatoire du 5e arrondissement tout d’abord, avant d’intégrer, à partir de 2011, l’École nationale d’art dramatique de la Comédie de Saint-Étienne.

Régulièrement sur les planches en tant que comédienne (au Théâtre Dijon-Bourgogne, au Théâtre national de Strasbourg, au CDN de Lorient ou au Théâtre de l’Aquarium à Paris), elle se sera lancée dans une première réalisation, en compagnie de Magali Chanay, pour un premier court métrage auto-produit en 2013 : Creuse.

En 2018, elle écrit et réalise son premier court métrage dans des conditions professionnelles, produit par la société Les Quatre Cents Films : Raout Pacha, sélectionné dans de nombreux festivals, reçoit le Prix Canal+ et le Prix du rire Fernand-Raynaud au Festival de Clermont-Ferrand en 2020.

L’année suivante, elle signe deux autres films courts : Pied-de-biche, dans le cadre de la collection “Jeunesses d’aujourd’hui” produite par Yukunkun Productions en partenariat avec le CNSAD, et Son altesse protocole, qui remporte le Prix de la presse Télérama à Clermont-Ferrand en 2022.

Critique

L’imaginaire d’Aurélie Reinhorn est aussi riche que savoureux. La preuve avec ce court métrage délirant qui enchante le circuit depuis plus de trois ans. Conjuguant l’absurdité du fonctionnement social, les aléas du réel et la poésie créative, Raout Pacha embarque trois personnages dans un séjour en bourgade balnéaire normande. Varec, Clint et Joséphine sont des êtres singuliers, que la réalisatrice a aussi créés pour collaborer une nouvelle fois avec ses camarades d’école de théâtre que sont Matthias Hejnar, Adrien Guiraud et Margot Alexandre. Une grande complicité dans le jeu du décalage les lie à l’image. Dès la scène introductive, au burlesque aéré. Un homme, vêtu d’un gilet de sécurité orange et portant un carton “Bienvenu Clint”, et une femme, qui s’avère être sa sœur, attendent sur un bord de route de campagne. Un troisième homme sort d’une voiture qui repart... en marche arrière. La femme lit d’une voix monotone un discours officiel et surréaliste de bienvenue. Le ton est donné, et ne quittera pas le film. 

L’art du détournement se délecte dans chaque séquence. Détournement des situations, des comportements, du langage, ou des sigles (la RATP mutée en RAPT, Récupération des Actifs Potentiels du Travail !). Par un poussage des curseurs de l’absurde, Aurélie Reinhorn raconte l’absurdité même de notre fonctionnement. De sa course au rendement, au profit, à l’administrable. Ses créatures de cinéma n’en sont que plus fortement des étendards de résistance. Mais de résistance enjouée, car c’est par le spectre de la fantaisie qu’un autre regard est possible, et qu’un autre rapport au monde se dessine. Clint, Varec et Joséphine, avec leurs prénoms bigarrés et évocateurs, osent à leur manière une présence singulière. Sans forcer la différence, leur naturel en impose. En face-à-face comme en groupe, la surprise abonde, interloque, amuse, décape. Les réactions sur l’écran et devant participent d’un même élan : le réenchantement. 

Le va-et-vient de plans fixes et de caméra tremblée harmonise aussi ce rêve de cinéma où l’on chante, où l’on peint, où l’on drague. Où l’on taille des falaises à défaut de nettoyer une ville déjà propre. Où l’on construit des épouvantails à gilet orange dans le sable. Où l’on joue à la marelle au milieu d’une brochette de personnes âgées. Où l’on feuillette le magazine Elle en faisant tourner une capote pleine, à côté du partenaire endormi. Où l’on répond “Je fais de mon mieux…” à la question “Vous faites quoi dans la vie, les gars ?”. Les trouvailles sont légions dans cette pépite qui se voit et se revoit, toujours riche de nouvelles impressions, et du sens infini qui naît de l’entrechoc du montage et de la rencontre de la bande sonore avec les images. Le chemin d’Aurélie Reinhorn s’est depuis enrichi, notamment avec Son altesse protocole. Autant dire que la concernant, on attend la suite avec un appétit non dissimulé.  

Olivier Pélisson 

Réalisation et scénario : Aurélie Reinhorn. Image : Jérémy Carteron. Montage : Magali Chanay. Son : Clément Lemariey et Émilie Mauguet.  Interprétation : Adrien Guiraud, Matthias Hejnar et Margot Alexandre. Production : Les Quatre Cents Films.

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