Extrait

Queen Size

Avril Besson

2023 - 19 minutes

France - Fiction

Production : Topshot Films, the cup of tea

synopsis

Ce matin, Marina a rendez-vous avec Charlie pour lui vendre un matelas. Ce soir, elle annulera son avion pour la Réunion. Mais ça, elles ne le savent pas encore.

Avril Besson

Après une classe prépa de Khâgne, Avril Besson (née en 1984) s'est formée au Celsa entre 2006 et 2009, puis au département montage de la Fémis, dont elle est sortie diplômée en 2013. Elle y a réalisé un moyen métrage documentaire : Adela.

Auparavant, elle a signé une comédie coproduite par Karé Productions et Topshot Films, Bernard & Fils, suicideurs à domicile (2011), projetés à Meudon et à Nice. Oups, en 2014, aura pour sa part été sélectionné à Créteil et Poitiers.

Mais c'est bien Queen Size qui la projette au premier plan, circulant largement en 2023/2024 et obtenant une nomination au César du meilleur court métrage de fiction en 2025. Le trio formé par la réalisatrice avec ses comédiennes India Hair et raya Martigny se reconstitue alors sur un long métrage adapté du court, intitulé Les matins merveilleux.

En tant que monteuse, Avril Besson est intervenue sur plusieurs courts métrages signés Vladilen Vierny (Exil, À marche forcée), Frédéric Farrucci (Entre les lignes), Florence Hugues (L'œil du cyclo), etc.

Elle est la demi-sœur de l'actrice Camille Cottin, de six ans son aînée.

Critique

Il y a l’adage d’Emmanuel Lévinas qui veut que “la meilleure façon de rencontrer quelqu’un, c’est ne même pas remarquer la couleur de ses yeux” et il est permis de penser qu’à la fin de Queen Size, Marina (Raya Martigny) et Charlie (India Hair), ses personnages, n’auront en effet pas connaissance de cette information. Nous sommes à Paris et la première, forcée de déménager, accueille la seconde qui souhaite acheter un matelas d’occasion. Comme Charlie n’a pas prévu de véhicule, Marina propose spontanément de l’aider à le transporter. Non pas dans un élan démago, mais pour que l’affaire soit rapidement pliée. Les deux jeunes femmes s’embarquent alors dans un trajet en pleine canicule urbaine qui donne au film son moteur narratif. Si Avril Besson, issue de la section montage de la Fémis, fait à travers ce film le récit de la naissance de leur lien, il est tentant d’y voir en creux l’exploration de la possibilité d’une forme d’équité et d’amour. La simplicité de cette idée, aller d’un point A à un point B, presque de l’ordre de l’exercice, permet à la cinéaste trouve l’espace confortable pour porter un soin fécond à ses dialogues comme à sa mise en scène. Elle permet aussi à ses comédiennes d’explorer l’éclosion d’une intimité – celle qui est finalement toujours à même de surgir entre deux inconnues, ici queens du catwalk de la vie quotidienne.

Il y a certains objets comme ça à côté desquels on ne peut pas passer – le matelas en fait partie. Métaphoriquement, comme un parachute, c’est aussi un capital financier, acquis par des moyens divers, qui permet d’amortir sans dommage une période d’inactivité, un passage à vide. Marina n’a plus les moyens de vivre à Paris et doit retourner chez ses parents sur l’île de La Réunion, ce qui ne la ravit pas ; Charlie quant à elle vient d’hériter de l’appartement parisien de sa grand-mère suite à son décès. Voici donc, certes, encore un personnage qui peut se permettre de ne s’intéresser que de loin à la question du travail rémunéré – en témoigne une scène d’entretien d’embauche que Charlie se soucie peu de foirer puisque pour elle, la question de se loger en plein Paris est réglée. Mais dans leur déplacement à deux, bardées de ce matelas aussi encombrant qu’indispensable, les deux personnages doivent “trouver une façon commune de le porter.” Comment chacune peut-elle supporter une part cohérente de ce poids, sans se faire mal, au mieux à partir de ses possibilités ? Il faut inventer un système démocratique. On va chercher ensemble, semble nous dire le film…

Dans les dialogues de ce duo, le registre de la pluie et du beau temps n’est pas vraiment de mise. Très vite, d’instinct, on se livre, on se mouille, on parle de la mort, de la précarité, de la norme. En se plaignant que son périnée est “pourri”, Charlie/India Hair rentre sans chichi dans l’intimité du corps et de ses dysfonctionnements, venant contredire les atours lisses de sa blondeur. Une fois parvenue chez sa grand-mère, elle montre à Marina des photos d’elle enfant. En un éclair, elles sont devenues familières : “Fais pas ta feignasse !” Un biais également permis par la chaleur, qui met à égalité, redistribue les priorités et fait fondre les faux-semblants. Queen Size ressemble à un plaidoyer anti small-talk, une invitation à se montrer vulnérable, attentive, capable de bouleverser son emploi du temps.

Dès les premières secondes, il est manifeste qu’après la parole le corps des comédiennes sera l’un des soucis premiers de la mise en scène, saisis à l’épaule, visages cadrés de près, dans les séquences caniculaires tournées en extérieurs ou alanguies dans l’appartement. Avril Besson déjoue avec malice certaines évidences, par exemple la fumeuse n’est pas celle que l’on croit, soit pas celle qui peine et souffle le plus en traversant le quartier. Tous les gestes de la comédienne trans Raya Martigny (vue aussi, entre autres, dans Les reines du drame d’Alexis Langlois) semblent émaner d’une énergie impériale, elle incarne à elle seule la notion de pride. S’il fait chaud, le désir qui s’incarne à l’écran entre ces deux-là, le fantasme suscité par la rencontre ne sont pas forcément d’ordre charnel. C’est surtout, ou tout autant, l’attrait pour une solidarité, la curiosité d’une circulation égalitaire, juste et fluide dans des relations qui seraient d’autant plus désirables qu’elles se pratiqueraient de fait à l’horizontal.

Objet calibré de façon maligne pour un tournage rapide, fabriqué en l’espace d’un mois, Queen Size propose sous ses airs d’extrême simplicité un espace précieux de respiration qui s’avère inspirant. Après sa nomination aux César 2025 dans la catégorie du meilleur court métrage de fiction, Avril Besson a achevé le tournage du long métrage associé, Les matins merveilleux.

Chloé Tralci

Réalisation, scénario et montage : Avril Besson. Image : Julia Mingo. Son : Tristan Pontécaille et Jean-Charles Bastion. Interprétation : India Hair et Raya Martigny. Production : Topshot Films et the cup of tea.

Bonus

Rencontre avec Avril Besson