
2019 - 23 minutes
France, Maroc - Fiction
Production : Envie de Tempête Productions, Jiango Films
synopsis
Dans les hautes montagnes de l’Atlas, Abdellah, un jeune berger et son père, sont bloqués par la neige dans leur bergerie. Leurs bêtes dépérissant, Abdellah doit s’approvisionner en nourriture dans un village commerçant à plus d’un jour de marche. Avec son mulet, il arrive au village et découvre que celui-ci est déserté à cause d’un curieux événement qui a bouleversé tous les croyants.
biographie
Sofia Alaoui
Née en 1991 à Casablanca, Sofia Alaoui a passé son enfance entre le Maroc et la Chine, accompagnant ses parents au gré de leurs pérégrinations en Asie, en Afrique et au Moyen-Orient.
Installée à Casablanca, elle réalise à la fois des courts métrages documentaires – comme Les enfants de Naplouse (2015), diffusé sur France 3 et TV5 – ou de fiction, tels Le rêve de Cendrillon (2013) et Kenza des choux (2018), sélectionné dans plus d'une quinzaine de festivals.
En 2019, elle réalise Les vagues ou rien, produit par AliNProduction, qui connaît un franc succès au Maroc. Toujours en 2019, elle réalise un nouveau court métrage, Qu'importe si les bêtes meurent, co-produit par la France (Envie de tempête Production) et le Maroc (Jiango Film). Le film obtient le Grand prix du jury au Festival de Sundance 2020 et le César du meillleur court métrage de fiction en 2021.
En parallèle de cette activité de réalisation, Sofia Alaoui est productrice au sein de Jiango Film, sa propre société, sise au Maroc. Lectrice et consultante en scénarios (producteurs, chaînes TV), elle a fondé “Lecteurs anonymes”, une association qui rassemble à ce jour plus de 90 membres. Elle est aussi marraine de la Fondation pour l’enfance qui, depuis 1977, se bat pour la défense des droits de l'enfant et pour l'amélioration de sa protection.
Sofia Alaoui achève en 2022 son long métrage, d'abord intitulé Parmi nous, présenté sous ce titre à Sundance (et qui y est récompensé du Prix du jury), et qui sort à l'été 2023 sour le titre d'Animalia.
Elle prépare un autre projet de long métrage, Tarfaya, avec l'aide de l'Atelier scénario de la Fémis, ainsi qu'un premier projet de série, produit par Barney Production.
Critique
Avec ce film méditatif et poétique flirtant avec le fantastique, la cinéaste marocaine Sofia Alaoui cherche à questionner les croyances de ses compatriotes, sans les rudoyer et par le recours à une énigme non explicitée, proche des procédés de la maïeutique. Au centre de Qu'importe si les bêtes meurent évolue le jeune Abdellah qui poursuit une quête spirituelle qu'il n'avait pas préméditée. Il est berger, et l'ouverture du film le cueille en compagnie de son père sur le petit lopin de terre, niché dans l'Atlas marocain, qu'ils exploitent. La nourriture vient à manquer, des bêtes sont malades, et Abdellah, sur les injonctions paternelles, doit se rendre dans un village éloigné pour acheter de la nourriture.
Il est bien difficile de déterminer le genre auquel appartiendrait ce court métrage, qui en chevauche plusieurs. Pas d'action, pas vraiment d'intrigue, c'est un film sur le doute qui progresse et navigue du descriptif documentaire vers un fantastique feutré, un peu à la manière des productions Val Lewton des années 1940 où s'est illustré notamment Jacques Tourneur, dont les fiIms pouvaient suggérer aux spectateurs des événements dont la tangibilité n'était pas acquise. Qu'importe si les bêtes meurent est parlé en langue minoritaire berbère, l'amazigh, sans qu'on sache si c'est par souci d'exactitude géographique ou en forme de résistance face à la langue arabe dominante.
Arrivé à destination à dos de mulet, le pâtre traverse un village quasi désert, ce qui le surprend. Le magasin d'alimentation est vide, Abdellah prend des sacs de nourriture et laisse l'argent sur le comptoir. La tentation de la transgression apparaît par deux fois dans le film. l'enfant hésite, ici, à laisser ses billets de banque et il est tenté de dérober une moto délaissée, mais repart sur son quadrupède. Ce qui prouve qu'il respecte et respectera les lois sociales. La télévision est restée allumée dans la boutique et on y voit à l'image un imam exhorter le peuple à se rendre à la mosquée pour contourner une malédiction qui vient de se produire. Un villageois, demeuré sur place, apprend au chevrier que les gens sont partis, car ils auraient croisé des créatures venues du ciel Ila filmé des événements avec son portable et les montre à Abdellah, mais le spectateur est tenu à l'écart. Le “témoin”et les informations distillées sur les ondes renvoient directement à des tactiques narratives propres aux films de science-fiction américains des années 1950.
Ces incidents traduits simplement par quelques plans de ciel verdâtre induisent le doute dans l'esprit d'Abdellah “Et si nous n'étions pas seuls dans l'univers ?, dit-il à son retour chez lui. Si nos certitudes étaient fausses ?”, des “paroles de mécréant” que son père ne peut supporter.
La cinéaste a choisi, à travers cette allégorie, d'interroger les croyances religieuses, sans heurter et à travers une fiction ouverte le ciel vert redevient bleu-noir aux derniers plans nocturnes, laissant Abdellah et son père dubitatifs. À défaut de voir surgir une autre réalité, une autre “vérité”, on peut au moins douter. Cela semble être le “message” de ce film s'exprimant d'une manière plus visuelle que verbale.
Raphaël Bassan
Article paru dans Bref n°126, 2021.
Réalisation et scénario : Sofia Alaoui. Image : Noé Bach. Montage : Héloïse Pelloquet. Son : Chaouki Nani, Paul Jousselin et Sébastien Savine. Musique originale : Amine Bouhafa. Interprétation : Fouad Oughaou, Moha Oughaou, Oumaïma Oughaou et Saïd Ouabi. Production : Envie de Tempête Productions et Jiango Films.