Extrait
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Précieux

Paul Mas

2020 - 14 minutes

France - Animation

Production : Je Suis Bien Content

synopsis

Julie n’arrive pas à s’intégrer dans son école. L’arrivée d’Émile, un enfant autiste, va changer la donne.

Paul Mas

Né en 1995, Paul Mas a été remarqué dès 2016, grâce à son film d'école réalisé dans le cadre de l'EMCA d'Angoulême, Children. Cette animation de volumes au sujet grave – l'agression d'une élève par l'un de ses congénères – est montrée en compétition au Festival de Clermont-Ferrand en 2017, remportant également plusieurs prix, dont le Prix du jury “So French !” au Poitiers Film Festival.

Le réalisateur enchaîne sur Précieux (2020), qui aborde le motif de la différence, toujours en milieu scolaire et à nouveau en utilisant la technique du stop-motion. Précieux est sélectionné dans une kyrielle de festivals à l'échelle internationale, d'Hiroshima à Tallin, en passant par Anima (Bruxelles), Animatou (Genève) ou encore Trickfilm (Stiuttgart).

Critique

Réalisé à l’EMCA (l’École des métiers du cinéma d’animation à Angoulême), Children, le premier film de Paul Mas, témoignait, en 2016, d’une originalité de point de vue que ce Précieux vient confirmer au-delà de tout espoir. Au face-à-face entre un adolescent violent et une psychiatre désemparée, succède une plongée aussi crue qu’empathique dans une classe d’école primaire, où la différence est méchamment réprimée, où les moqueries fusent dès qu’affleurent faiblesses ou handicap.

Le réalisme du propos est ici stylisé au tamis d’une animation en stop-motion exhibant – c’est la beauté du procédé – ses coutures, ses à peu près et ses défauts. Ces derniers, raccords avec l’âge de construction de soi des protagonistes, ressortent particulièrement dans le design de personnages à l’apparence grossière, au modelage rugueux, témoignant de l’uniformité des “dominants” (filles ou garçons, tous procédant du même moule, avec un visage identique) et de la complexité psychologique des “freaks”. Ceux-là sont les anti-héros d’un film bouleversant, les seuls que l’on distingue, les seuls aussi que l’on prénomme.

Il y a tout d’abord Julie, un peu ronde, timide, et que les autres trouvent “moche”. Et puis il y a Émile, qui vient d’arriver dans la classe, petit nouveau pas à sa place, enfant autiste au regard triste. Évidemment, le siège à côté de Julie est libre. Et c’est là que s’installera Émile. Le programme du film les rapproche, tandis que la maîtresse, de bonne volonté pourtant, les isole dans un recoin de la classe. Ce dernier rang devient leur univers, un monde à part où, par le truchement du dessin, tous deux entament un dialogue, créent ce lien que les autres leur refusent. Jusqu’alors, jusqu’à la moitié du film, la veine humaniste attendrit sans bouleverser. Et l’on se dit même qu’à histoire équivalente, la prise de vue réelle eût pu être un sacré repoussoir ; hypothèse confirmant que l’animation et la forme savent souvent transcender les sujets, quels qu’ils soient.

Pourtant, Émile n’est pas simplement le miroir de la mise au ban de Julie est c’est heureux. Le film préfère refuser tout unanimisme des bons sentiments, voire tout ressort de feel good movie édifiant, pour demeurer sur un fil ambigu qui lui octroie toute sa valeur. Si la petite fille apprécie Émile, elle se force aussi à rire des blagues se faisant à ses dépens, cherchant à son tour dans la moquerie l’approbation des autres, du groupe, quitte à sacrifier son compagnon d’infortune. Au terme d’une confrontation avec l’autorité parentale et scolaire, Julie affirmera qu’Émile, non, n’est décidément pas son ami.

Dans ce dernier mouvement creusant le fossé entre ce qui se joue entre les enfants et ce que les adultes en comprennent (quelles pensées tordues, même, ces derniers, parfois, y projettent), Paul Mas se risque finalement dans les mêmes failles intimes que pour son Children, entre violence, haine de soi, assèchement du sentiment et in fine… oui, quand même, réconfort. Car lorsque Children s’achevait sans rémission sur une réplique tronquée par un cut violent, une petite fille apaisée, acceptée, a ici appris à faire avec (ses défauts et ses qualités), à faire avec un monde où bourreaux et victimes reproduisent dès la cour de récréation les ressorts douloureux de l’aliénation sociale.

Stéphane Kahn

Réalisation et scénario : Paul Mas. Image : Enzo Riedinger. Animation : Fran Gondi et Paul Mas. Son et musique originale : Yann Lacan. Voix : Jeanne Martin-Prunier et Tristan Collet. Production : Je Suis Bien Content.