Extrait
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Poupées de chair

Séréna Robin, Florence Rochat

2022 - 19 minutes

France, Belgique - Fiction

Production : Les Films du Cygne

synopsis

Une touche de blush, quelques gouttes de gloss... Lucie s’apprête à débuter sa journée de formation pour devenir hôtesse d’un salon de l’automobile. Passionnée de voitures depuis toujours, elle a le secret espoir de se faire remarquer par une marque prestigieuse…

Séréna Robin

Après des études de Lettres modernes et cinéma à la Sorbonne Nouvelle, Séréna Robin se lance dans l'écriture de scénarios. Avec Florence Rochat, elle écrit deux courts métrages : Loups et Poupées de chair. Le premier, toujours en phase de financement, a été lauréat de la Bourse Beaumarchais/SACD et du concours de scénarios du département de l'Eure, avec le soutien du Moulin d'Andé-Céci.

Le second a bel et bien été tourné, avoir été pré-acheté par Canal+ et avoir reçu le soutien de Pictanovo. Il a aussi été présenté dans de nombreux festivals, tant en France (Amiens, Brest, Clermont-Ferrrand, Paris Courts Devant, Vaulx-en-Velin…) qu'à l'étranger (Athènes, Cleveland, Cork, Kyiv, Namur…). Séréna Robin réalise également des documentaires, comme Take the Boat (2015) et Pom-Pom Boys (2020), tous deux cosignés de Camille Hamet et qui ont été diffusés à la télévision et en festivals. Le prochain, Climactivistes, a reçu l'aide de la Région Normandie.

En parallèle, elle anime des ateliers d’initiation à l’image cinématographique pour le Forum des images.

Florence Rochat

Après des études de cinéma et de lettres à Paris 3, Florence Rochat se consacre à l’écriture de scénarios. Elle développe plusieurs projets de courts métrages en co-écriture ou seule, notamment Loups, lauréat de la bourse Beaumarchais-SACD et du concours de scénarios de l'Eure (encore en phase de financement, et Poupées de chair, pré-acheté par Canal+ et soutenu par Pictanovo. Le film a été présenté dans de nombreux festivals, tant en France (Amiens, Brest, Clermont-Ferrrand, Paris Courts Devant, Vaulx-en-Velin…) qu'à l'étranger (Athènes, Cleveland, Cork, Kyiv, Namur…).

Forte de ces expériences, elle a co-écrit avec le réalisateur Jonathan Millet son premier long métrage : Les fantômes. Le scénario a reçu différents soutiens à l'écriture et le film s'est vu sélectionné à la Semaine de la critique au Festival de Cannes 2024, avant d'être nommé au César 2025 du meilleur premier film. Florence Rochat est parallèlement conférencière à la Cinémathèque française depuis 2012 et intervient dans différentes structures d'éducation à l'image, notamment pour le compte de L'Agence du court métrage.

Elle écrit en outre actuellement son premier long métrage.

Critique

Pour Lucie – interprétée par la pétillante Mara Taquin –, la clé à molette c’est toute sa vie. Son père tient un garage, ses doudous auraient pu être des pièces détachées. Alors elle est tout excitée à l’idée de participer à son premier Salon de l’automobile en tant qu’hôtesse. C’est la “petite porte” par laquelle elle a choisi de passer pour se rapprocher de son rêve : créer des pièces de voiture.

Pourtant, de la préparation dans le vestiaire, qui frôle un aspect militaire, à cette salle aseptisée aux murs gris métalliques, les lieux sont peu réceptifs à la fougue enfantine dont déborde Lucie. L’unique journée de formation qui tend ce court sera ainsi drivée par un arsenal d’instructions afin d’incarner à merveille l’image d’EBBE et de remplir le devoir de représentation comme il se doit. Dit autrement, sans jamais l’expliciter vraiment : c’est une journée pour transformer ces femmes en objets affichant, comme seule trace d’humanité permise, un rictus. Et les phrases toutes faites du formateur, que l’on devine répétées pour déferler dans un rythme maîtrisé mais robotique, font office d’énièmes fausses notes sur la partition jusqu’ici rêvée. Vantant un management positif et encourageant, elles se confondent en remarques désobligeantes, dégradantes, coercitives. Très vite finalement, Lucie n’a pas le temps de désirer servir cette marque. À chaque bloc elliptique qui jalonne ce récit s’adjoint indubitablement des désillusions. Voilà la jeune fille qui étouffe à présent, déroutée, le cadre resserré sur elle, la caméra accrochée à son regard perdu, celui-là même que la naïveté abandonne.

Un peu comme un duel de voitures lancées à 200 km/h, à mesure que le formateur vomit ses phrases, le déboire de Lucie s’accroît, talonne bientôt son rêve de gamine et finit par mettre pleins gaz pour le doubler en queue de poisson. Le voilà qui disparaît même du rétroviseur intérieur, distancé, trop fragile face à la réalité et à l’obscénité du monde des adultes. La petite porte empruntée avait déjà sur son seuil cette vaseuse flaque d’essence dans laquelle se reflètent de profonds problèmes sociétaux, mais heureusement pour Lucie, elle semble l’avoir vue à temps et s’emploie donc à l’enjamber.

Sous l’épiderme de ce film s’observe une vivacité sans faille et le réel désir d’explorer le sujet. Poupées de chair dissèque méticuleusement notre société patriarcale, extrait ses caillots capitalistes et sexistes, dispose ses nerfs pervers sur la cupule. Une colère de fond remonte et Mara Taquin ne saurait qu’emboîter le pas à sa sœur de Rien à foutre, Cassandre, hôtesse de l’air cette fois, interprétée par Adèle Exarchopoulos. Quand les éclairages festifs du lancement du Salon tombent sur les visages de ces jeunes femmes, toutes vêtues de tailleurs rouges, elles semblent ne faire qu’une. Et une manche relevée dévoilant un magnifique bouchon de radiateur de voiture pourrait se traduire en déclaration de guerre. C’est le retour de boomerang, bien mérité. Peut-être alors que la marque Alfa Roméo pourrait s’inspirer, dans ses publicités, du souffle impulsé par Florence Rochat et Séréna Robin ? L’acteur Pedro Alonso, en client assoiffé, n’aurait probablement aucun problème à l’idée de se laisser convaincre de l’achat d’une voiture par un homme…

Lucile Gautier

Réalisation et scénario : Florence Rochat et Séréna Robin. Image : Alexandra de Saint Blanquat. Montage : Youri Tchao-Debats. Son : Gauthier Cauvin, Julien Vanhée et Rainier Buidin. Musique originale : Thibault Picard. Interprétation : Mara Taquin, Denis Eyriey, Laïka Blanc-Francard, Sanda Codreanu, Mona Walravens, Clara De Gasquet et Gabrielle Chabot. Production : Les Films du Cygne.

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