2023 - 16 minutes
France - Documentaire
Production : Iliade et Films
synopsis
En 1979, dans les sous-sols de La Défense, le quartier d’affaires de Paris, ouvre le Pacific Club, première boîte de nuit à accueillir les jeunes banlieusards issus de l’immigration nord-africaine. Azedine, dix-huit ans à l’époque, nous raconte l’histoire oubliée de ce club et de ceux qui l’ont fréquenté.
biographie
Valentin Noujaïm
Né en France en 1991 de parents libanais et égyptien, Valentin Noujaïm vit et travaille à Marseille.
Ayant intégré le département scénario de la Fémis en 2016, il en est sorti diplômé en juillet 2020 et a réalisé alors un documentaire, Avant d’oublier Héliopolis (2019), et un film expérimental, L’étoile bleue (2020), qui a notamment été montré à Visions du Réel (à Nyon) et à Doclisboa (à Lisbonne).
Les filles destinées suit en 2021, mais c'est surtout Pacific Club qui attire en 2023 l'attention sur sa personnalité d'artiste, sur le registre du documentaire. Une installation éponyme est aussi créée, le travail de Noujaïm s'articulant autour des axes des luttes anti-racistes, de l’utopie spatiale et du traumatisme des corps.
Pacific Club est présenté dans de nombreux festivals (Lille, Silhouette à Paris, Winterthur en Suisse) et fait partie de la sélection officielle du César du meilleur court émtrage documentaire.
Passé par la Villa Médicis en juin 2023, Valentin Noujaïm propose l'année suivante un nouvel opus, à nouveau produit par Iliade & Films : To Exist Under Permanent Suspicion. Cette fiction expérimentale participe alors à la compétition des Tigers Awards du Festival de Rotterdam. Il a aussi fait partie, la même année, des “Talents” de la Fête du court métrage.
Prolifique, il achève au même moment Océania, un court métrage de fiction sélectionné à Cinemed, à Montpellier.
Critique
Le cinéma de Valentin Noujaïm conjugue des identités et des registres multiples. Il faut dire que sa vie renvoie à deux héritages, libanais et égyptien, en plus de son ancrage français. Reposant sur cette sédimentation culturelle complexe, ses deux premiers courts métrages croisent deux registres, celui du cinéma documentaire et celui du cinéma expérimental : Avant d’oublier Héliopolis (2019) et L’étoile bleue (2020). Le premier raconte le passé cairote de sa grand-mère sous la forme de l’auto-documentaire. Dans le deuxième, où il délaisse les archives pour élaborer une vision encore plus onirique, les outils du cinéma lui permettent de combiner la langue française à la langue arabe pour mieux révéler un métissage se réinventant constamment. À la fois personnels et ouverts sur des enjeux universels, les deux films révélaient déjà en substance la capacité de fabriquer un cinéma du présent à travers lequel émane des fantômes du passé – aux apparitions tout aussi polymorphes qu’inattendues. Le cinéma comme lieu du métissage, mais aussi de l’hybride et du spectral.
En 2023, Valentin Noujaïm réalise un troisième court métrage : Pacific Club. À la forme documentaire a priori plus classique, il nous replonge à la fin des années 1970, à un moment où une boîte de nuit a ouvert dans les souterrains de la Grande arche de la Défense. Les personnes vivant en banlieue parisienne, souvent issues de populations immigrées, y étaient acceptées. À l’époque, les autres boîtes de nuit refusaient l’entrée aux “Arabes”. Convoquer cette histoire est pour le cinéaste l’occasion d’évoquer ce qui se cache derrière les principes de la devise républicaine : liberté, égalité, fraternité. Pour Azedine, qui a fréquenté le club à l’époque, ces trois concepts restent théoriques : son témoignage parle de discrimination culturelle vécue et de marginalisation sociale subie. Valentin Noujaïm recueille ses paroles avec un mélange de pudeur et de mélancolie. Le présent inhabitable ne serait-il pas suspendu au passé traumatique, nourri par la violence continue du racisme et de la xénophobie ? Le film provoque une intense émotion lorsqu’il aborde l’existence fragile de ceux qui se sont enfoncés dans la drogue, perdant parfois même la vie. Le fléau de l’héroïne produit des anti-héros.
Pacific Club n’est pourtant pas un documentaire proprement dit. Il repose sur la déformation de l’espace filmique : de schémas architecturaux aux plans bleutés très composés du quartier d’affaires à la Défense, la mise en scène joue sur le dédale dont cet espace urbain est le point de départ. On songe aux premiers films de Jean-Jacques Beineix. L’impression qu’il donne est celui d’un étouffement en même temps que d’un vertige. Le cinéaste va même jusqu’à figurer un espace cosmique duquel émanent les témoignages écrits d’anciens clients du club. Le parking devient même, le temps d’une séquence, le laboratoire de formes chorégraphiques à la fois sublimes et déchirantes. De multiples façons d’évoquer non seulement l’oubli qui menace la remémoration, mais aussi l’existence de hiérarchies dans le travail de mémoire. En 1980 était publié un ouvrage majeur de Gilles Deleuze et Félix Guattari, Capitalisme et schizophrénie 2 : Mille plateaux. Les auteurs distinguaient en fin d’ouvrage l’espace lisse et l’espace strié. Le film de Valentin Noujaïm produit un troisième type, l’espace-méandre, où non seulement les êtres mais surtout les souvenirs s’avèrent nomades.
Mathieu Lericq
Réalisation et scénario : Valentin Noujaïm. Image : Pauline Doméjean. Montage : Dinah Ekchajzer. Son : Lucas Doméjean, Ary Carpman et Maxime Roy. Musique originale : Julien Mézence. Interprétation : Azedine Benabdelmoumene, Julien Mézence et Taos Bertrand. Production : Iliade et Films.