Extrait

Open the Door, Please

Joana Hadjithomas, Khalil Joreige

2006 - 12 minutes

France - Fiction

Production : Tara Films

synopsis

À 12 ans, Jacques mesure plus d’1m80 alors que ses camarades font 30 à 40 cm de moins. Ce matin, c’est le jour de la photo de classe. Le photographe tente de composer en vain selon les règles de l’art, recherchant une belle symétrie. Mais comment mettre Jacques dans le même cadre que les autres ?

Joana Hadjithomas

Joana Hadjithomas, née le 10 août 1969, est une cinéaste et artiste libanaise. Elle travaille en binôme avec son époux, Khalil Joreige, entre la photographie, les installations, la performance, la vidéo et le cinéma. Tous deux autodidactes, ils ont reçu le Prix Marcel- Duchamp en 2017 pour un projet artistique intitulé Unconformities.

Parmi leurs nombreux films, au sein desquels ils alternent régulièrement les formats, se sont succédés notamment Cendres (2003), A Perfect Day (2005), Open the Door, Please, dans le cadre de la collection “Enfances” diffusée sur Arte (2006), Je veux voir, interprété par Catherine Deneuve et présenté au Festival de Cannes dans la section Un certain regard (2008), The Lebanese Rocket Society (2012) et Memory Box (2021).

Le couple est par ailleurs très impliqué dans des structures culturelles au Liban, telles que Correspondaences, Metropolis ou encore Cinémathèque Beirut.

Khalil Joreige

Khalil Joreige, né le 26 septembre 1969, est un cinéaste et artiste libanais. Il travaille en binôme avec son épouse, Joana Hadjithomas, entre la photographie, les installations, la performance, la vidéo et le cinéma. Tous deux autodidactes, ils ont reçu le Prix Marcel- Duchamp en 2017 pour un projet artistique intitulé Unconformities.

Parmi leurs nombreux films, au sein desquels ils alternent régulièrement les formats, se sont succédés notamment Cendres (2003), A Perfect Day (2005), Open the Door, Please, dans le cadre de la collection “Enfances” diffusée sur Arte (2006), Je veux voir, interprété par Catherine Deneuve et présenté au Festival de Cannes dans la section Un certain regard (2008), The Lebanese Rocket Society (2012) et Memory Box (2021).

Le couple est par ailleurs très impliqué dans des structures culturelles au Liban, telles que Correspondaences, Metropolis ou encore Cinémathèque Beirut.

Critique

Joana Hadjithomas et Khalil Joreige, artistes, plasticiens et réalisateurs libanais installés en France, ont signé deux courts métrages professionnels : le libanais Cendres (2003) et le français Open the Door, Please (2006). Deux œuvres qui questionnent l’identité, la frontière, les marges et la mémoire ; deux courts métrages que l’on pourrait situer aux antipodes : l’un, un drame, autour d’une disparition, l’autre, une comédie, autour de la naissance, d’une révélation.

Film de commande, Open the Door, Please est un segment d’“Enfances”, un projet chapeauté par Yann Le Gal (Un secret derrière la porte, 2005), réunissant six films autour d’“auteurs renommés ayant marqué de leur style l’Histoire du cinéma”. Avec Open the Door, Please, Hadjithomas et Joreige mettent en scène l’enfance de Jacques Tati dans un scénario s’appuyant – au départ – sur l’un de ses souvenirs d’écolier, le jour où il décide de s’évader de l’enceinte scolaire. Les réalisateurs de Je veux voir (2008) détournent l’anecdote pour la transformer en une espèce de “Jacques Tati au pays des merveilles”, film autant comique qu’onirique où chaque plan scintille de tendresse et d’intelligence et fait regretter la rareté de leurs images sur nos écrans de cinéma.

L’idée-clé, de génie, consiste à avoir choisi un moment dans l’histoire de l’école, celui de la photo de classe et de faire de ce moment à la fois le symptôme (comique et tragique) et la porte d’entrée à une sorte de rêverie entre les lignes du cadre et du temps. La citation de Jacques Tati, située à la fin du film, “la vie moderne est faite pour les premiers de la classe, ce sont tous les autres que j’aimerais défendre”, donne à ceux qui avaient la tête ailleurs la clé des champs d’un cinéma qui fait justement tout un art du hors champ.

Tout commence donc par la traditionnelle photo de classe, épisode cruel, puisque d’emblée (dès le premier plan, mais avouons que ça ne saute pas aux yeux tout de suite), le personnage de Jacques est guillotiné par le cadre. Il mesure plus de 1,80 mètre ; ses camarades 40 centimètres de moins. L’épisode permet d’aborder frontalement deux questions. Celle tout d’abord, passionnante et épineuse, du biopic. Et de bout en bout dans ce court métrage les hommages au cinéma de Tati, sans jamais mimer ou fétichiser, se multiplient. On pense beaucoup notamment à Playtime (1967). La question de l’identité s’avère également centrale. Comment exister : être (mis en boîte) ou ne pas être, et où git (dans l’image) notre identité. Autant de thèmes qui traversent la plupart des travaux des artistes-réalisateurs qui ont toujours questionné dans les traces visuelles la/les mémoire(s). 

Ce qui nous intéressait fondamentalement dans ce film pourtant historique, c’était de réfléchir à notre présent – c’est ce sur quoi on a toujours travaillé – et notamment notre rapport au monde managérial, à cette idée de rationaliser les choses, d’avoir une place pour tout. Ce film était pour nous une nouvelle façon d’essayer d’introduire des dysfonctionnements là-dedans. Le film pose une question d’aujourd’hui : quelle est ma place dans le monde”, témoigne Khalil Joreige (1).

Open the Door, Please rejoue la chute du terrier de Lewis Carroll : un enfant trop grand tombe et le monde invente à chaque plan sa propre logique. Hadjithomas et Joreige transforment la cruauté en éclat de rire et le hors champ en pays du rêve. Ce qui aurait pu n’être qu’une plaisanterie sur la taille devient une véritable politique de l’image : défendre ceux que le cadre coupe, ceux qui débordent, ceux qui n’entrent pas dans les cases. Promesse joyeuse : il suffit parfois de se lever, d’ouvrir la porte, pour qu’un autre cinéma prenne vie – à côté, juste à côté du cadre. Alors please, open the door !

Donald James

1. Entretien avec Joana Hadjithomas et Khalil Joreige, Livret courts métrages pour l’opération Lycéens et apprentis ay cinéma en Région Centre, 2008-2010, Centre Images/Ciclic. https://interne.ciclic.fr/pdf/LivretCM-2008-2010.pdf

Réalisation : Joana Hadjithomas et Khalil Joreige. Scénario : Joana Hadjithomas, Khalil Joreige et Yann Le Gal. Image : Benoît Chamaillard. Montage : Tina Baz Le Gal. Son : Stéphane de Rocquizry, Lionel Garbarini et Simon Poupard. Interprétation : Maxime Juravliov, Bernard Lapène, Gilbert Traïna et Lucie Pichon. Production : Tara Films.

À retrouver dans

Thématiques