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Nos îles

Aliha Thalien

2023 - 22 minutes

France - Fiction

Production : Le Fresnoy

synopsis

En Martinique, une malédiction vise les hommes qui disparaissent. De jeunes amis se retrouvent pour parler de leur rapport à l’île.

Aliha Thalien

Née à Paris en 1994, Aliha Thalien vit et travaille en Seine Saint-Denis. Elle est diplômée d’un master de cinéma de la Sorbonne ainsi que d’un DNSAP des Beaux-Arts de Paris. Ces deux cursus lui ont permis de développer une pratique du cinéma, de l’installation et de la sculpture autour du langage et de la mémoire.

Son travail a été montré lors de festivals internationaux et d’expositions. En 2019, elle réalisait son premier court métrage, Feu soleil, produit par Haïka Films et sélectionné entre autres aux Rencontres du moyen métrage de Brive et au Festival La Cabina à Valence, en Espagne.

Elle a ensuite signé le documentaire expérimental Saint-Yves prophète (2020), puis Mon amie Moïra (2021) et Nos îles (2023), produit dans le cadre du Fresnoy, Studio national des Arts contemporains, et doublement primé au FID Marseille. 

Critique

Nos îles s’ouvre sur le plan fixe d’une plage idyllique, carte postale exotique depuis laquelle résonnent des cris d’estivants. Formée au Fresnoy, Aliha Thalien mêle sujet documentaire et images aux couleurs saturées qui transfigurent l’effet de réel des paysages paradisiaques. En forçant l’étalonnage, elle donne une teinte presque chimique aux plages idylliques. Les plans s’enfoncent dans le territoire, suivent une moto sur des routes escarpées, jusqu’à embrasser les après-midi languissantes d’un groupe d’amis. Assis dans l’herbe ou sur la plage, ils sont tendrement serrés les uns contre les autres ; leur conversation tourne autour de sujets intimes, familiaux ou amoureux avant d’aborder leur sentiment d’appartenance à leur île. La conversation prend alors un tour politique qui passe par le désir d’indépendance et énumère les bouleversements que cela impliquerait, pour un territoire marqué par la colonisation, dont les lois locales favorisent les békés (les blancs créoles descendants des premiers colons) comme dans l’utilisation des sols, pollués par la chlordécone, un pesticide utilisé dans les bananeraies, et dans son passé marqué par la violence coloniale et l’histoire de l’esclavage. Le montage de plans longs permet que s’ouvre le passage du destin individuel à celui du groupe puis de l’histoire collective.

Un gros rocher solitaire qui fait face à la plage incarne ce passé funeste. Il surgit comme un iceberg de pierre dans l’instantané de la carte postale, hanté par une aura fantomatique qu’une jeune fille n’éclaire qu’à l’ultime fin : jadis, un bateau rempli d’esclaves se serait échoué sur ce petit bout de terre, le laissant à jamais chargé d’une aura mortifère. Les ancêtres des Africains sacrifiés et des békés tout puissants imposent à l’histoire contemporaine la survivance de leur conflit irréconciliable. Les adolescents s’avouent incrédules quand leur amie leur confie sentir une énergie lourde quand elle s’approche du rocher maudit. Une autre accueille avec œcuménisme cette sensibilité aux horreurs passées, comme un pari pris sur l’avenir en affirmant : « Moi, je crois à tout… ».

Raphaëlle Pireyre

Texte paru dans Bref n°129, 2024.

Réalisation : Aliha Thalien. Scénario : Aliha Thalien, Amanda Noiren, Calicalí, Shanelle Puisy, Giovanny Bermont, Fiona Soutif, Naisha Ursulet et Coraline Chroné. Image : Nino Defontaine et Nicolaos Zafiriou. Montage : Éva Studzinski. Son : Alexandre Pastel, Yohei Yamakado et Tom Nollet. Musique originale : Yohei Yamakado. Production : Le Fresnoy.