Nimic
Yórgos Lánthimos
2019 - 12 minutes
Allemagne, États-Unis, Royaume-Uni - Fiction
Production : Rekorder, Superprime, Merman et Droga5
synopsis
Un violoncelliste professionnel fait une rencontre dans le métro qui va bouleverser sa vie.
biographie
Yórgos Lánthimos
Né le 23 septembre 1973 à Athènes, Yórgos Lánthimos est l'un des cinéastes les plus cotés du paysage international contemporain, ayant accumulé au fil de ses différentes réalisations les récompenses dans les festivals les plus importants.
Après avoir étudié à l'école de cinéma de Stavrakos, dans la capitale grecque, il a signé des clips, films publicitaires et courts métrages (dont Le viol de Chloé en 1995), avant de signer, au début des années 2000, deux premiers longs métrages demeurés inédits hors de Grèce.
C'est son troisième long, Canine, qui attire l'attention sur lui, recevant le Prix Un certain regard au Festival de Cannes 2009. Alps, deux ans plus tard, est primé à la Mostra de Venise pour son scénario, comme c'est le cas de Mise à mort du cerf sacré à Cannes en 2017. Entretemps, The Lobster lui aura valu en 2015 le Prix du jury sur La Croisette.
La favorite, en 2018, décroche le Grand prix à Venise, avant plusieurs nominations aux Oscars, tandis que sa comédienne Olivia Colman y est sacrée meilleure actrice après avoir gagné la Coupe Volpi sur le Lido. C'est là que Pauvres créatures permet au réalisateur de se voir attribuer le prestigieux Lion d'or en 2023.
Kinds of Kindness et Bugonia, tous deux réunissant entre autres Emma Stone et Jesse Plemons (qui se voit distingué à Cannes du Prix d'interprétation pour le premier), se succèdent en 2024 et 2025.
Yórgos Lánthimos sera revenu à deux reprises au format court, avec Nimic en 2019 et Vlihi, où il dirigeait Emma Stone (de nouveau) et Damien Bonnard, en 2022.
Critique
Finalisé la même année de la sortie de La favorite, en 2019, le court métrage de Yórgos Lánthimos Nimic tient du cauchemar conceptuel : un échange anodin dans le métro déclenche un glissement identitaire irrésistible. Un violoncelliste apathique et effaré (Matt Dillon) voit sa vie progressivement colonisée par une inconnue (Daphné Patakia), qui se met d’abord à le suivre, puis à l’imiter, avant de le remplacer littéralement dans son propre foyer. Plus inquiétant encore, la réalité semble accepter cette substitution sans condition. Pas d’opposition, pas de scandale, seulement une résignation hébétée, comme si l’identité de l’homme n’avait jamais tenu qu’à un fil, possiblement un mirage.
Juste après l’explosion baroque de La favorite, Lánthimos revient à une cruauté clinique, plus proche de The Lobster (2015) ou de Mise à mort du cerf sacré (2017) : un cinéma qui, malgré sa signalétique formelle (grand angle, plans fixes glacés, lumière sans contraste), semble désossé. Le dispositif minimal d’observation de ses personnages met ici à nu l’idée d’interchangeabilité, où l’inertie du mécanisme paraît inarrêtable. Il ne s’agit pas tout à fait de dissolution du sujet, mais d’une perméabilité générale, qui demande ce qui peut encore concrètement distinguer deux individus l’un de l’autre.
Le titre lui-même torsade le mot “mimic”, comme une copie détraquée : deux êtres humains qui revendiquent simultanément leur raison d’être, leur droit à occuper une même place. Les enfants, déconcertés, se contentent de dire qu’ils “ne sont que des enfants”, tandis que l’épouse demeure muette, comme si le film refusait volontairement tout point d’ancrage affectif ou moral.
Ce nouveau rôle dans la machine familiale, avec des gestes répétés (cuire un œuf, le manger de la même manière exacte) révèle alors quelque chose de tristement désirable. Changer de corps permettrait de maintenir les structures : la famille, le couple, le film lui-même. Nimic devient alors une méditation glaciale sur le détachement, provocant en un sens tant son récit est sans désir, où il ne palpite qu’une vaste sidération dans le fond de l'œil, face au programme en train de s’exécuter.
Dans Canine, déjà, la famille fonctionnait comme une machine d’assignation où le dispositif social primait sur ceux qui l’occupaient. The Lobster filmait aussi la singularité comme un contrat social, un rôle à tenir. Mais c’est surtout avec Alps (2011) que Nimic tisse son lien le plus direct : là où des acteurs remplaçaient des défunts dans les familles, apprenant leurs gestes et leurs répliques pour les incarner littéralement. Nimic en est comme à la fois sa version la plus resserrée et la plus mystérieuse. Que Lánthimos ait fait de son personnage un violoncelliste n’est pas un hasard : c’est par cette répétition des gestes, cette précision reproductible, qu’une œuvre se rejoue à l’identique par d’autres mains. Alors pourquoi pas une vie, quand il suffit de connaître la partition ?
Arnaud Hallet
Réalisation : Yórgos Lánthimos. Scénario : Efthymis Filippou et Yórgos Lánthimos. Image : Diego Garcia. Montage : Dominic Leung et Yorgos Mavropsaridis. Son : Johnnie Burn et Raúl Locatelli. Interprétation : Matt Dillon, Daphné Patakia, Susan Elle, Sara Lee, Eugena Lee et Rowan Kay. Production : Rekorder, Superprime, Merman et Droga5.


