Extrait

Nantong Nights

Léopold Dewolf, Emma Qian Xu

2021 - 12 minutes

France - Fiction

Production : Patafilm

synopsis

Nantong, Chine. Jian travaille comme E-driver : il conduit les voitures de clients trop ivres pour rentrer chez eux. Une nuit, l’un de ses passagers lui demande de l’emmener au commissariat.

Léopold Dewolf

Ayant grandi à Paris, Léopold Dewolf étudie l’animation en stop-motion à Londres (BA, University of Westminster) et la réalisation à Los Angeles (MFA, USC School of Cinematic Arts) où il est distingué de la Thomas B. Bush Scholarship for Cinematography.

Il présente ses films d'étudiant dans plusieurs festivals internationaux et sa curiosité pour les autres cultures l’amène au Pérou, où il réalise un film sous la tutelle de Werner Herzog, puis en Chine, où il co-réalise Nantong Nights (2021), en mandarin et en dialecte local, en compagnie d'Emma Qian Xu. Celui-ci est présenté en compétition internationale à Clermont-Ferrand, mais aussi à Ankara, Grenoble, Téhéran, Thessalonique, Cinema Jove à Valence, Short Shorts au Japon, etc.

Léopold Dewolf est aussi monteur de bandes-annonces pour Canal+.

Emma Qian Xu

Emma Qian Xu est née en 1990 à Nantong, en Chine. À sa sortie de l’université, elle vient en France pour continuer ses études et obtient un Master en International Business Negotiation à Paris. Sa passion pour le cinéma la conduit à suivre, parallèlement à un emploi dans le tourisme, des cours du soir au CLCF (Conservatoire libre du cinéma français).

Après une année de cours intensifs et de tournage chaque week-end, elle commence à travailler avec Léopold Dewolf et tous deux co-écrivent un premier court métrage, Le rideau, qu’elle produit en outre. Présenté au Festival tous courts d'Aix-en-Provence, le film remporte le Prix du public à “Courts mais trash”, à Bruxelles.

Le duo se reforme en 2021 avec Nantong Nights, tourné dans sa ville natale à la fois en mandarin et en dialecte local. Le film est présenté en compétition internationale à Clermont-Ferrand, mais aussi à Ankara, Grenoble, Téhéran, Thessalonique, Cinema Jove à Valence, Short Shorts au Japon, etc.

Critique

Située sur la rivière Yangtze à une bonne centaine de kilomètres au nord-est de Shanghai, Nantong n’est pas, vu de France, la mégalopole chinoise la plus connue. La population de sa juridiction avoisine pourtant les 7 millions et demi d’habitants, ce qui est un chiffre toujours utile pour cerner le cadre dans lequel peut s’enraciner un film se vouant à décrire une tranche de vie de ce pays-monstre en perpétuel mouvement.

Le cinéma nous permet régulièrement, et sur tous les formats, de découvrir des coins inhabituels de la République populaire – citons par exemple, du côté des longs, Un hiver à Yanji d’Anthony Chen en 2023 – et la mutation urbaine est un classique des narrations du cinéma chinois contemporain. Le protagoniste principal de Nantong Nights l’explicite directement : “On dirait qu’il y a des travaux en permanence, ici. Encore cinq ans et cette ville aura encore complètement changé. D’ici dix ans, ça ressemblera à ces films de science-fiction dont les jeunes parlent.” Ce quinquagénaire exerce un drôle d’emploi : il est “e-Driver”. Pas chauffeur de taxi ou de VTC, donc : il ne possède pas son véhicule, mais rapplique quand on l’appelle pour prendre le volant de la voiture de clients trop bourrés pour conduire – on est plongé d’emblée dans un pays décidément spécial, il faut le garder à l’esprit…

Jian s’en va donc servir de Saint-Bernard à un type bedonnant, rond comme une pelle et soliloquant en évoquant une potentielle violente vengeance concernant le père de sa belle-fille, ce qui ouvre une piste de polar urbain pour le spectateur comme pour le chauffeur lui-même, dont l’esprit se met en branle. D’ailleurs, l’idée que le type soit blessé plutôt que saoul nous a potentiellement traversé l’esprit au moment de le découvrir à sa sortie d’un palace… Et lorsque la belle-fille en question cherche à le joindre et demande à être récupérée à son tour, la fiction gagne du terrain – quel est exactement son lien à son beau-père ? – et ainsi de suite, lorsqu’un bruit dans le coffre titille un peu plus l’imaginaire, glissant vers le film criminel s’aventurant sur le registre mafieux des triades… En seulement douze minutes et en s’appuyant sur un savant découpage, il transcende sa modestie de moyens, ayant été tourné en partie avec des membres de la famille de la coréalisatrice Emma Qian Xu, native de cette ville transformée en gigantesque chantier.

Des liens multiples relient ainsi Nantong Nights à une certaine veine du film policier chinois contemporain, résultant de tournage clandestins ou pas, jouant astucieusement sur la dichotomie de langage mandarin/dialecte local tout en offrant une balade aisément hypnotique sur des notes de Strauss, Beethoven ou Tchaïkovski, dont les morceaux diffusés à la radio composent une toile de fond musicale très occidentale. La Chine communiste a depuis trente ans pris le pli du libéralisme. Pour quel résultat ? La dernière réplique en voix off de Jian, “On ne le saura qu’au moment de payer l’addition”, résonne comme une prédiction, celle d’un empire ogresque et corrompu, regorgeant de cadavres cachés (ou coulés dans des dalles de béton !) et courant sans cesse vers sa propre perte. Une nouvelle vision critique du “rêve chinois” que le pouvoir de Xi Jinping, en tout cas, ne goûterait que très peu.

Christophe Chauville

Réalisation, scénario et image : Emma Qian Xu et Léopold Dewolf. Montage : Alexis Marro. Son : Xiaolong Jiang et Alain Castillo. Interprétation : Jian Zhang, Xingxiang Mao et Sijia Dong. Production : Patafilm.

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