Extrait
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Ma branche toute fine

Dinara Droukarova

2018 - 14 minutes

France / Russie - Fiction

Production : CTB Film Company, Rouge International, Rezo Films, Rézina Productions

synopsis

Une jeune femme vient de perdre sa mère. À ses côtés, une vieille dame. Une babouchka, comme on dit chez les Russes. En respectant les rites, avec une grande douceur, elles lavent le corps, l’apprêtent. La babouchka guide la jeune femme dans ses adieux et son deuil.

Dinara Droukarova

Née le 3 janvier 1976 à Leningrad, alors en Union soviétique, Dinara Droukarova débuta au cinéma à l'âge de 12 ans et fut découverte en tant que jeune actrice des films de Vitali Kanevski Bouge pas, meurs, ressuscite (Caméra d'or du Festival de Cannes en 1990) et Une vie indépendante (1992).

À nouveau en vue grâce à Des monstres et des hommes d'Aleksei Balabanov en 1998, elle décide de s'installer en France, apprenant alors le français et tournant avec Pascal Aubier, Pascal Bonitzer, Guillaume Nicloux, Laetitia Masson, Joan Sfar ou encore Arnaud Desplechin. Son meilleur rôle lui est offert par Julie Bertuccelli dans Depuis qu'Otar est parti en 2003. Une nomination au César du meilleur espoir féminin salue sa performance.

Elle passe à la réalisation par le biais du court métrage Ma branche toute fine en 2018, avant de se lancer pour son premier long métrage, Grand marin, adapté d'un roman semi-autobiographique de Catherine Poulain et produit par Slot Machine. Elle est à chaque fois des deux côtés de la caméra.

Critique

Recueillement.

Ma petite-fille adorée, ferme les yeux… Dors avec quiétude ma chérie… Ma branche toute fine, endors-toi…

Des mots prononcés sous la forme de murmures. Des paroles propres aux berceuses, formulées ici en langue russe. Celles que l’on entend dans l’enfance et qui ne disparaissent jamais vraiment de la mémoire, même jusqu’à l’âge adulte le plus avancé. Sur fond noir, pendant que le générique se distinguent par des lettres blanches, se déposent ainsi dans la perception du spectateur les traces d’un passé russe qui secoue le présent. Mais de qui, exactement ? C’est de l’actrice-réalisatrice Dinara Droukarova dont il s’agit, laquelle livre ici le récit d’une expérience intime à travers un chuchotement, presqu’une prière. À travers sa voix seule dans un premier temps, puis sa présence physique quasiment muette dans un deuxième temps, elle raconte un retour perplexe vers le origines au moment de la mort de sa mère. Difficile pourtant d’évaluer si cette situation a été vécue dans la réalité, ou non. 

Si la fiction permet de mettre à distance, Ma branche toute fine (2018) nous plonge littéralement dans l’instant qui succède au décès, vécu par la seule protagoniste dans une métropole qu’on soupçonne être Moscou. Le personnage, apparaissant dès le premier plan au loin dans un couloir, se rapproche métaphoriquement vers le spectateur à mesure du film. Jusqu’à prendre toute sa place dans le plan final. Le film dessine la trajectoire d’une femme qui semble se demander dans quelle mesure elle est encore une fille — “fille” au sens de l’enfant d’une mère désormais morte, ou bien “fille” au sens de l’héritière d’un passé et peut-être d’une culture qui n’est plus vraiment la sienne. Le film ne formerait-il pas ce souhait de lui rendre un hommage à la fois franc et indirect ? Le rite de l’embaumement rend d’ailleurs compte de cette volonté – toute humaine – de désinfecter la dépouille et assurer sa conservation malgré sa nécessaire désintégration. Accompagnée d’une veille femme venue l’aider, la protagoniste s’engage pleinement dans le rituel dont elle ignore tout mais dont elle respecte les codes religieux islamiques, selon la volonté de la défunte. 

À travers de magnifiques plans composés, enveloppés dans un typique noir et blanc post-soviétique (rappelant vaguement les films de Vitali Kanevski ou d’Igor Minaev dans les années 1990), Dinara Droukarova dresse le portrait tendre et énigmatique d’une femme esseulée. Le film propose surtout le recueillement filmique d’une actrice-cinéaste qui négocie son deuil à partir d’une volontaire suspension de la nostalgie. Elle effectue un geste de retournement tenant loin l’appel nostalgique comme le fantôme le plus menaçant. Car ce qui surplombe ce geste de difficile distanciation, mais sans le plomber, c’est la dilution possible de la vie – et du cinéma avec ? – au profit d’une morbidité acide, déployée dans les outils même du cinéma à l’état de substance visuelle et sonore. Malgré la fragilité de ce lien à protéger (lien à sa culture d’origine, à sa mémoire et à la dynamique vitale), la branche ne semble pourtant pas prête de rompre.

Mathieu Lericq

Réalisation et scénario : Dinara Droukarova. Image : Timo Salminen. Montage : Julien Chigot. Son : Alexandr Valentsov, Samy Bardet, Frederik Van de Moortel, Wim Willaert et Matthias Hillegeer. Interprétation : Dinara Droukarova et Tamara Idrazova. Production : CTB Film Company, Rouge International, Rezo Films et Rézina Productions.

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