
2021 - 31 minutes
France - Fiction
Production : Miles Cinéma, Insolence Productions
synopsis
Dans un monde sans solitude où chacun vit avec son jumeau, Lucienne retrouve Paul, un ancien amant qui a perdu son double. Cette singularité est nouvelle et inconnue pour Lucienne qui découvrira vite qu’elle n’est pas tolérée. Leur relation secrète va l’éloigner de sa sœur et l’obliger à lui mentir.
biographie
Geordy Couturiau
Né le 12 janvier 1989 en Belgique, Geordy Couturiau commence une carrière de comédien à l'âge de 10 ans. Il apparaît dans plusieurs téléfilms notamment dans la mini-série Les Thibault. Au cinéma, il joue notamment dans Le couperet de Costa-Gavras (2005) et La différence, c'est que c'est pas pareil de Pascal Laëthier (2009).
Il vit et travaille désormais à Paris et son premier court métrage en tant que réalisateur, Lucienne mange une auto, a été couronné de nombreux prix au long de l'année 2019.
En 2020, il retrouve le personnage de Lucienne et sa comédienne Stéphane Caillard avec Lucienne dans un monde sans solitude, tourné en Bretagne. Il enchaîne avec un troisième court dès l'année suivante : La flûte enchantée, toujours produit par Miles Cinéma.
Le printemps 2023 le voit signer un film publicitaire pour la marque de prêt-à-porter masculin Jules.
Critique
Deuxième opus d’un diptyque qui se prolongera sans doute – autrement, plus tard – par un long métrage, Lucienne dans un monde sans solitude reprend le personnage féminin générique (ni tout à fait le même, ni tout à fait un autre) d’un premier court métrage remarqué (Lucienne mange une auto), et surtout son interprète principale, véritable muse du cinéaste : l’excellente Stéphane Caillard.
Si le premier film évoquait le cinéma de David Cronenberg (et particulièrement Crash) tant par son apparente froideur formelle que par sa thématique centrale (une fusion femme/machine plus soft, écrirons-nous pour aller vite, que celle envisagée plus tard par Julia Ducournau dans Titane), Lucienne dans un monde sans solitude se rapprocherait plutôt – avec son histoire de doubles, de jumeaux et de passion amoureuse délétère – de Faux-semblants.
Si d'ordinaire la gémellité fait exception et demeure marginale, Geordy Couturiau retourne d’emblée la convention en inventant un monde où celle-ci devient au contraire normative, où chacun ou chacune va par deux, par paire, où la singularité n’est plus de mise et où tout bafouille, redouble, ainsi qu’en témoignent les jump-cuts des premiers champs-contrechamps entre Lucienne et son amant, Paul.
Pire, ici, ne pas être deux, ne plus avoir de double, de “frère” ou de “sœur”, met au ban de la société, se voit sévèrement réprimé, quiconque se présentant seul devenant automatiquement déviant, suspecté, recherché, pourchassé. Ainsi, ce qui fondait l’extraordinaire chez Dostoïevski, Maupassant et tant d’autres auteurs ayant travaillé la figure du double n’est plus source de malaise ou de doute pour les protagonistes de Geordy Couturiau : le fantastique ne réside plus dans le statut ambigu dans lequel se débattraient les personnages par rapport à un double hypothétique (qu'il soit réel, craint ou fantasmé) mais plutôt dans le regard neuf que doit porter le spectateur de Lucienne dans un monde sans solitude sur cette normativité inédite. Dès lors, le film tiendrait plus de la dystopie ou de la fable que du cinéma fantastique au sens strict. Et si on pouvait la redouter, l’approche très théorique des personnages génère finalement une distance profitable, laquelle participe de l’efficacité du récit tant, dans ce monde étrange, les affects sont anesthésiés, les secrets éventés, l’intimité diffractée.
C’est ce qui poussera Lucienne à s’éloigner d’Emmanuelle (sa “sœur”) pour rechercher une autre fusion, “contre-nature” celle-ci, avec Paul, un homme, lequel fut lui-même abandonné par son double auquel le réalisateur et acteur occasionnel Cédric Kahn insuffle toute la vibration de son jeu. Car, en bon mélodrame, Lucienne dans un monde sans solitude est finalement l’histoire d’un amour impossible, d’un idéal inaccessible. C’est le paradoxe fécond d’une œuvre dont les effets spéciaux travaillent à merveille la jointure et l’artifice que de signifier par son final abrupt l’impossibilité romantique de “ne faire qu’un”... à deux. Avec cette sombre impasse dramatique, les dernières minutes nous rappellent alors comme, déjà, Lucienne mange une auto se fracassait littéralement in fine contre l’impossibilité d’une renaissance de l'héroïne via l’hybridation (figurant en cela une sorte d’antithèse totale au final “utopico-transhumaniste” de Titane). Vision défaitiste – raisonnable, peut-être – où pointe une nouvelle fois le pessimisme d’un cinéaste singulier que l’on se plait à suivre dans ses propositions, même les plus douloureuses.
Stéphane Kahn
Réalisation et scénario : Geordy Couturiau. Image : César Decharme. Montage : Sanabel Cherqaoui. Son : Rafael Ridao et Arthur Moget. Musique originale : Martial Foe. Interprétation : Stéphane Caillard et Cédric Kahn. Production : Miles Cinéma et Insolence Productions.