
2023 - 8 minutes
France - Animation
Production : Lardux Films
synopsis
Laurence cherche désespérément l’amour. Conseillée par une amie, elle se connecte sur des sites de rencontre en ligne pour trouver l’âme sœur. Elle devient accro à son téléphone et addict à un homme toxique.
biographie
Inés Sedan
Née en 1976 en Argentine, Inés Sedan étudie le cinéma à l’université nationale de La Plata (UNLP) et l’animation à l’Institut d’art cinématographique d’Avellaneda (IDAC), situé à Buenos Aires et dont elle sort diplômée en 1998.
Entre 1997 et 2003, elle réalise plusieurs films d’animation d’une durée très courte, avant de signer L’homme qui dort, coproduit par Sacrebleu Productions en 2009.
S’en suivent Moi en 2012 (de nouveau avec Sacrebleu), puis El canto (avec les Films de l'Arlequin) en 2013 qui sera sélectionné au Festival du film d’animation d’Annecy.
Installée à Paris, elle rend hommage, à travers Love He Said (2018), à l’écrivain “culte” Charles Bukowski, sous la forme d'un poème visuel. Le film est alors sélectionné au Festival de Clermont-Ferrand, au sein de la section Labo, ainsi qu’au Festival d’Annecy en 2019.
En 2023, toujours produit par Lardux, Love Me True s'inspire d'un podcast de France Culture sur les applis de rencontres en ligne. Il est présenté à son tour en compétition des courts métrages à Annecy.
Critique
Le titre du cinquième court métrage d’Inés Sedan, réalisatrice de films d’animation d’origine argentine installée en France, fait naturellement référence au standard d’Elvis Presley Love Me Tender – il correspond précisément à la deuxième partie de ce refrain célébrissime. Et le projet dans son ensemble joue avec le contraste béant entre les racines de ce vœu intime – “aime moi véritablement”, au sens de la plus pure vérité – avec l’univers factice des applis de rencontres en ligne qui est ainsi exploré. Plus précisément, c’est un reportage radio signé Alain Lewkowicz, Love Me Tinder – second calembour ! –, qui se situe à la base de l’idée de faire ce film, ayant été diffusé sur France Culture dans le cadre de l’émission de Sonia Kronlund Les pieds sur terre.
L’héroïne, en partie malheureuse, de l’histoire ne les a justement pas gardés longtemps, les pieds sur terre, en mettant le doigt dans l’engrenage des promesses de Tinder. Elle raconte son expérience dans ce documentaire animé où les couleurs pop, les trouvailles formelles et le dynamisme du montage des séquences dévoilent un univers à la face beaucoup plus sombre, où les promesses du virtuel – des relations amoureuses et charnelles faciles à concrétiser pour n’importe quelle âme esseulée – se traduisent, une fois transférées dans la réalité concrète, par des déceptions, des excès et la confrontation à des personnalités potentiellement toxiques, plongeant aisément une psyché fragile dans l’addiction et la perte de repères.
Éloignée délibérément de ce monde parallèle, comme de tous les réseaux sociaux, la réalisatrice explore ses ramifications comme une ethnologue, non sans humour (voir les inserts et certaines représentations, comme ce lapin posé sur la table du café où l’indélicat “partenaire” n’est pas venu au rendez-vous), mais avec lucidité. Laurence, la véritable protagoniste de l’aventure, dont le témoignage a été enregistré et remonté, ne cache pas ses failles et doutes. Même si elle préfère au bout du compte demeurer, tant elle en a désormais un besoin irrépressible, dans ce qui apparaît au final, en termes de rencontres physiques, comme un “épicier arabe ouvert vingt-quatre heures sur vingt-quatre”, et même si, de son propre aveu, ce n’est “pas forcément réjouissant”.
“La chair est triste, hélas !”, écrivait Mallarmé en 1865, il y a tout juste cent soixante ans1. C’est ce qu’on appelle être visionnaire.
Christophe Chauville
1. Dans Brise marine, paru ensuite dans le recueil Poésies, en 1867.
Réalisation, scénario et animation : Inés Sedan. Montage : Michèle Le Guernevel. Son : Olivier Calvert, Adam Wolny et Michèle Le Guernevel. Production : Lardux Films.