Extrait
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Les saints de Kiko

Manuel Marmier

2019 - 25 minutes

France - Fiction

Production : G.R.E.C.

synopsis

Kiko, une illustratrice japonaise en mission en France, se laisse envahir par une inspiration jusqu’alors inconnue, lorsqu’elle épie un couple d’hommes sur la plage.

Manuel Marmier

Manuel Marmier est d'abord directeur de la photographie, qui a travaillé sur des courts et des longs métrages, dont deux films du duo Olivier Ducastel/Jacques Martineau : Théo et Hugo dans le même bateau (2016) et Hauts perchés (2019).

Il mène en parallèle des projets de réalisation en auto-production avant de signer, sous l'étendard du G.R.E.C., Les saints de Kiko en 2019. Tourné dans les Landes, le film est notamment primé au Festival international du court métrage de Melbourne et au Festival FilmOut de San Diego, avant de faire l'objet d'une distribution aux États-Unis au sein d'un programme de trois films francophones intitulé The Male Gaze : Three's Company

 

Critique

Deux mondes distincts se croisent dans Les saints de Kiko de Manuel Marnier (2019). D’un côté, il y a l’univers des films japonais contemporains, à travers lequel on entre dans le film, au début assez réaliste et bientôt plus loufoque. La figure centrale est celle d’une dessinatrice de bandes dessinées, investissant les paysages de la côte atlantique française comme s’il s’agissait d’un jardin typiquement nippon. Portant un chapeau de paille, lequel rappelle plutôt le stéréotype romantique du peintre impressionniste, on la découvre d’abord avec son chevalet et son cahier de croquis dans un paysage bucolique, avant de la voir progressivement investir un nouvel espace : la plage. Glissant vers l’autre côté du spectre narratif, le film pénètre un paysage de sable où deux tourtereaux bien musclés et à la capillarité débordante se trémoussent et forniquent à l’abri des regards. Mais c’est sans compter sur la curiosité étonnée de Kiko, qui décide de les croquer en douce. Le film bascule à ce moment-là du côté d’un cinéma à la lisière du fantastique, un peu à la façon d’Alain Guiraudie dans L’inconnu du lac (2012). On retrouve d’ailleurs dans le film la même tonalité faite d’une joie fantaisiste, déplaçant l’univers proprement japonais du Gunji vers le monde surprenant de la vie homosexuelle “bear” dans une contrée française côtière reculée.

Les saints de Kiko est un film sur l’inspiration artistique : d’où vient la motivation spécifique qui nourrit le geste d’un artiste ? Loin de la vision antique rattachée à la Pythie comme pourvoyeuse d’une inspiration divine, Manuel Marnier semble plutôt montrer à quel point l’inspiration se corrèle à la découverte de l’autre en général, et en particulier de l’autre en tant qu’être de désir. L’existence comme sphère du libidinal semble le point d’ancrage de l’acte créatif. Si la figure de Kiko est centrale du fait que les situations soient perçues de son point de vue, la mise en scène du film entremêle progressivement situations réelles et situations imaginées, comme si le fantasme érotique venait troubler jusqu’à l’esthétique elle-même. À la cohabitation culturelle initiale s’accompagne une impureté d’ordre esthétique, tant les plans en prises de vue réelles rencontrent les traits des dessins produits par Kiko. Les deux mondes, d’abord hermétiques, se révèlent plus précisément, entremêlés non seulement dans l’esprit inventif de la dessinatrice, mais surtout dans l’univers débridé qui se déploie sur les planches de bandes dessinées. À tel point que la figure de Kiko elle-même, tout du moins une figure féminine lui ressemblant comme deux gouttes d’eau, s’inscrit dans l’univers fantasmatique des dessins, déplaçant le duo masculin vers un trio mixte.

Transformant ainsi la fornication en fantasme sacré, le cinéaste construit adroitement un monde où l’homosexualité n’est définitivement plus un sacrilège blasphématoire. Le désir homosexuel y est montré, au contraire, comme une forme d’amour aussi ordinaire que précieuse. Aucune violence ne l’enveloppe ; aucune moralisation ne la contraint. De surcroît, le film dessine – littéralement – un passage (secret) de la soumission vers la libération. La figure de Kiko, au début soumise au calendrier d’hommes autoritaires, s’échappe du carcan initial et semble s’en détacher totalement. On peut ainsi considérer le film comme le lieu d’une émancipation féministe, puisque Kiko à travers son activité de dessinatrice, et d’observatrice acharnée, semble prendre pleinement possession de sa volonté personnelle en même temps que de sa propre vitalité corporelle. Le film apparaît finalement comme une ode féministo-queer au consentement et au respect, perçues comme bases nécessaires aux relations humaines.

Mathieu Lericq

Réalisation et scénario : Manuel Marmier. Image : Caroline Le Hello. Montage : Éva Feigeles-Aimé. Son : Michel Lesaffre, Fabien Cornec et David Cailleaux. Musique originale : Hamed Sinno, Firas Abou Fakher, Carl Gerges et Haig Papazian. Interprétation : Lika Minamoto, Arthur Gillet et François Burgun. Production : G.R.E.C.

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