
1994 - 8 minutes
France - Fiction
Production : Les Films du Garage
synopsis
Un homme rencontre une prostituée qui lui raconte sa vie. D’après la nouvelle “Devant la station-service” de Vincent Ravalec.
biographie
Vincent Ravalec
Né à Paris le 1er avril 1962, Vincent Ravalec est écrivain, réalisateur, scénariste et producteur.
Ayant arrêté l'école dès l'âge de 14 ans, il a enchaîné les petits métiers après une formation d'apprenti-menuisier. C'est au début des années 1990 qu'il a commencé à écrire et connu le succès dès ses premières publications. Il publie cinq ouvrages en l'espace de trois mois et son premier roman, Un pur moment de rock'n roll (1992), le révèle, avant qu'il transforme l'essai avec Cantique de la racaille (1994), qui remporte le premier Prix de Flore.
Il se lance alors dans la réalisation de courts métrages tout en étant assistant ou régisseur sur divers films, dont Atlantis de Luc Besson.
Il réalise en 1998 un premier long métrage, Cantique de la racaille, adaptant son roman du même titre. En 2002, il rassemble plusieurs de ses courts métrages dans La merveilleuse odyssée de l'idiot toboggan. On y retrouve plusieurs adaptations de ses nouvelles : Les mots de l'amour, Portrait des hommes qui se branlent et Never Twice.
Vincent Ravalec est également auteur de textes pour la chanson française. Passionné de nouvelles écritures, il a écrit et réalisé des films en réalité virtuelle.
Son dernier roman en date est, datant de 2023, Mémoires intimes d'un pauvre vieux essayant de survivre dans un monde hostile, paru aux éditions Fayard.
Critique
Une petite Fiat 128 des années 1970 déambule dans le Paris périurbain des années 1990. Son conducteur est un homme à la recherche d’une prostituée. Il finit par la trouver, arpentant un pont de béton. Elle lui plaît. Ils se mettent d’accord sur “l’option 1” et l’Italienne met le cap sur un terrain vague de banlieue “très sympathique”. Mais la petite affaire de son propriétaire s’exécute laborieusement, au prix d’une logorrhée incessante de cette jeune péripatéticienne rongée par le doute.
Vincent Ravalec déboule dans le monde littéraire au début des années 1990 avec la parution de cinq romans en trois mois, lui qui a quitté l’école à quatorze ans et vécu jusque-là de petits boulots. Le genre de trajectoire que les médias adorent, d’autant que le client a un univers plutôt sulfureux et un certain culot. Les mots de l’amour est l’adaptation cinématographique de l’une de ses premières nouvelles, parue dans le recueil Un pur moment de rock’n roll (1992) (1). Une forme de répétition pour la réalisation, dans la foulée, de son premier long métrage, adapté de son roman éponyme : Cantique de la racaille.
Les traces de cette vie littéraire sont présentes dans le cinéma de Ravalec, à commencer par la caractérisation du personnage masculin, qui s’exprime de façon mêlée par une voix narrative off et des dialogues en direct. L’auteur qui, dit-on dans les salons, lisait Jean Genet dès ses onze ans, en garde ce goût du décalage et de la provocation. Un subtil dosage parfois malaisant – c’est voulu – d’humour et de vulgarité, servi par des dialogues d’une crudité parfaitement assumée, qui dégage au final une forme de poésie candide et cruelle. Ces deux aspects sont renforcés par le casting : Élodie Bouchez – qui avait débuté sa carrière cinq ans plus tôt, à seize ans donc, dans Stan the Flasher de Serge Gainsbourg – n’en est pas à ses premières grossièretés sur grand écran, mais garde sa silhouette et sa moue adolescentes, malgré ses vingt et un ans. Et Artus de Penguern, éternel clown triste du cinéma, dont le personnage adopte lui aussi le parler cru et vrai de la rue. Le réalisateur joue de ces contrastes pour choquer et faire (sou)rire. Un humour décalé, un peu cynique, très en vogue dans la littérature et le cinéma de cette époque. Tout comme l’image, très beau noir et blanc granuleux, un peu sale – mais pas trop – signé Jeanne Lapoirie, qui magnifie la glauquitude stylisée de ces tranches de vies et espaces en friche, à l’abandon, en proche périphérie du chic parisien. Ce même noir et blanc qui caractérisait au même moment les premiers films de Mathieu Kassovitz – Cauchemar blanc – ou le documenteur culte et belge C’est arrivé près de chez vous, eux aussi dans le registre du poids des bons mots et du choc de la photo.
Mettre en scène un couple dans une voiture durant huit minutes sans perdre le spectateur est une gageure et Vincent Ravalec, craignant certainement cet ennui à venir, multiplie les plans, les cadres, et les points de vue. Là où Lelouch aurait fait tourner sa caméra sur un rail autour de la voiture en un seul plan-séquence, Ravalec s’éloigne de la 128, puis se rapproche au plus près des visages, coupe et découpe sa narration visuelle et sonore pour lui donner de la vie, voire un supplément d’âme.
La carrière de réalisateur de Vincent Ravalec s’est quelque peu diluée dans le temps, mais Les mots de l’amour reste un marqueur cinématographique d’une époque et de ses codes, une fulgurance provocante, décalée et maline, une éjaculation verbale au beau milieu d’un terrain vague.
Fabrice Marquat
1. La nouvelle en question s’intitule Devant la station-service.
Réalisation et scénario: Vincent Ravalec. Image : Jeanne Lapoirie. Montage : Pascale Aubaret. Son : Florent Ravalec. Musique originale : René-Louis Lafforgue. Interprétation : Élodie Bouchez et Artus de Penguern. Production : Les Films du garage.