Extrait
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Les hommes de la nuit

Judith Auffray

2022 - 16 minutes

France - Animation

Production : Le Fresnoy

synopsis

Un explorateur marche dans la jungle à la recherche des orangs-outans. Muni de jumelles et d’un carnet, il les contemple, les étudie, les dessine. Faisant cohabiter dans la jungle synthétique homo sapiens et homo nocturnus, le film esquisse une méditation rêveuse sur l’étrange proximité qui, depuis des siècles, détermine l’histoire de leur relation.

Judith Auffray

Judith Auffray est née à Paris en 1993. Elle a étudié la peinture et le dessin à l'École nationale supérieure des Beaux-arts de Lyon, puis le cinéma à la Haute école d'art et de design (HEAD), à Genève.

Son premier long métrage, Une maison (2019), a été sélectionné dans plusieurs festivals (notamment au Cinéma du réel et au FID Marseille), avant de sortir en salles en France en novembre 2021. Il est consacré à un groupe de jeunes adultes autistes.

Judith Auffray a intégré Le Fresnoy - Studio national des arts contemporains en 2020 et y a réalisé deux films : 7h15 - merle noir – présenté à Cinéma du réel, au Festival du cinéma de Brive et à Côté court, à Pantin – et Les hommes de la nuit, projeté pour sa part à San Sebastian.

Critique

Avec ce film qui succède à 7 h 15 - Merle noir (2021), on comprend que Judith Auffray aime s’agencer à une sorte de poétique scientifique, et qu’elle excelle dans la composition de fables délicates et rêveuses où elle énonce la recherche d’un rapport au monde renouvelé, réconciliant les humains et ce qui les entoure, ce que l’on appelle, faute de mieux, la Nature. Après l’ermite encyclopédiste enregistrant avec son Nagra les sons des oiseaux et faisant face à un cri d’une espèce inconnue, place à un explorateur débonnaire déambulant avec l’accoutrement de rigueur – gilet à poches, chaussures de marche, jumelles en bandoulière, carnet de notes en main – dans une luxuriante forêt enveloppée d’une impressionnante et entêtante texture sonore résultant de diverses expressions de la présence animale. Les hommes de la nuit avance sous forme de tableaux où bientôt se succèdent et parfois cohabitent deux espèces d’hominidés, ceux que l’on appelle les humains, et ceux que l’on nomme les "hommes de la forêt", les orangs-outans, dont on apprend, au détour d’un intertitre, qu’ils sont également "de la nuit". Si quelque chose de l’enchantement se manifeste, l’étrangeté et la discordance ont tôt fait de nous convaincre que l’on est en présence d’un artefact qui n’a pas grand-chose de physique, que le film est le seul lieu où existe ce que l’on voit et entend.

Dans l’amorce du film, l’obscurité d’encre est transpercée par le faisceau lumineux de la lampe de l’explorateur. Il est tentant de voir dans cette sorte de primitivisme un clin d’œil à un pré-cinéma remontant à fort loin, avant la lanterne magique et autres machines aux noms fascinants, celui qui, bien avant, se déroulait dans les cavernes où des hominidés voyaient leurs ombres portées sur les parois avec la lueur de leurs torches, imaginant alors les premières histoires. Parmi ces hominidés, notons que l’homme ne figure pas seul, on y trouve aussi ses ancêtres fossiles ainsi que certains grands singes. Nous y voilà : Les hommes de la nuit traduit un mouvement de recommencement, de remontée aux sources, plus encore un désir de rapprochement. L’artefact manifeste une violence, une dévastation, d’une espèce et d’un habitat dans les forêts de Bornéo. Mais le territoire du film constitue également une sorte de conjuration : redonner forme et vie à un territoire qui fut partagé avant que les branches ne se divisent pour donner lieu à de funestes règnes. Il est beau de désirer avec Judith Auffray ce commun, qui s’incarne en la personne de notre explorateur– qui n’en était pas vraiment un –, mais aussi en celle de Nénette et des siens.

Arnaud Hée

Article paru dans Bref n°129, 2024.

Réalisation, scénario et montage : Judith Auffray. Image : Mario Valero. Son : Stéphane Debien, Eloisa Matheu, Judith Auffray et Thomas Fourel. Interprétation : Gérard Dousseau. Production : Le Fresnoy.

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