Les fleurs blanches et la lune
David Ingels
2022 - 21 minutes
France - Fiction
Production : GREC
synopsis
Deux jeunes gens se retrouvent pour une promenade sur la colline, au-dessus du village. André essaye maladroitement de se confier sur ses doutes. Lina, elle, parle de ses rêves et d’une chanson médiévale où la Vierge sauve un moine qui lutte avec le Diable. Autour d’eux, les oiseaux et les voisins mènent tranquillement leur vie…
biographie
David Ingels
Né en 1997, David Ingels est originaire du département de la Haute-Savoie. Après des études d'image, il a réalisé quelques courts métrages autoproduits, comme La nuit avant le voyage (2017).
Toujours au cœur du paysage savoyard, il signe en 2022 Les fleurs blanches et la lune, produit par le Grec, et qui apparaît comme le premier opus d'un cycle comprenant aussi Et quand l'aube viendra en 2023 et Bel companho, qui se voit présenté en 2025 à Côté court, à Pantin, avant de remporter le Prix Jean-Vigo du court métrage.
David Ingels est également chef-opérateur sur ses propres films ou ceux d'autres réalisateurs.
Critique
Les fleurs blanches, celles écloses des premiers bourgeons du printemps, se détachent des arbres. Nous sommes dans la forêt, en lisière des habitations, dans un coin bucolique de Haute-Savoie. La route nationale n’est pas loin et il y a des chemins : deux amis se retrouvent au détour d’un sentier pour une petite marche ensemble, le temps du film. André est en visite chez ses parents, un peu perdu. Lina réside dans la maison de son oncle non loin de là, occupée par la traduction d’une chanson médiévale du XIIIe siècle, les Cantigas de Santa Maria. Le duo s’engage en balade et se livre à la discussion le long de la colline, accompagné par le vent dans les feuilles, le chant des oiseaux. Dans le présent anachronique de cette calme sérénade, un chevalier sur sa monture fait une incursion onirique.
Cette première œuvre, réalisée dans le cadre d’un soutien du Groupe de recherches et d’essais cinématographiques, marque le début d’une trilogie sylvestre que David Ingels a fabriquée dans le sillage d’une belle formule. Un territoire d’élection : la forêt. Au fil des films, on s’y aventure plus en profondeur, en compagnie de duos de personnages invités à parler comme on s’y promène, à siester, à s’éblouir dans une libre flânerie. En réalisant dans la foulée Et quand l’aube viendra (2022), suivi de Bel companho (2024), récompensé cette année par le prix Jean-Vigo du court métrage, le jeune cinéaste compose, comme s’il ouvrait des parenthèses dans le réel, des odes à l’observation, à l’émerveillement, à la rêverie. Pierre après pierre, il dessine avec ces courts métrages, comme on sème des cailloux pour retrouver son chemin, les contours d’un univers empreint de dialogues rohmériens confiés à des interprètes essentiellement non professionnel(le)s. Dans cet espace forestier clarifiant, qui chasse la peur et la douleur, la parole est en symbiose avec la nature.
C’est en creux, dans le hors champ de ce refuge, que l’on peut lire le regard du cinéaste sur le monde. Comme en témoignent les notes de flûte et de clavecin, le texte que travaille Lina et l’enluminure présente dans le film, la chanson de geste médiévale représente l’une des boussoles qui guident David Ingels. Pourtant, ce genre littéraire du Moyen-Âge est constitué de récits épiques. À rebours de l’héroïsme au sens classique, dans ce cinéma, l’événement, c’est plutôt le récit d’une interaction avec un renard, l’observation des oiseaux, la présence d’un cours d’eau. Ajustée aux paramètres de notre présent, sa chanson de geste raconte des actes non marchands, anti-productivistes. Les personnages s’y définissent non par ce qu’ils font, mais par ce à quoi ils et elles accordent leur attention – l’acte de traduire étant à compter dans cette famille. Un cinéma de marcheur en somme, parent de celui de Pierre Creton et de son dernier long métrage, Les sept promenades avec Mark Brown (2025).
Dans ses confidences à Lina, le personnage d’André confesse une forme de nostalgie, un rejet de la technologie, son peu d’espoir pour l’évolution de l’espace humaine : “On devrait peut-être mieux disparaître, non ? On laisserait les oiseaux se faire entendre.” Lina lui raconte quelques mots sur l’auteur médiéval qu’elle traduit, Alphonse de Castille : C’était un roi, un personnage un peu hors norme. Il y avait plein de choses qui l’intéressait : l’astrologie, l’astronomie... On disait de lui qu’à force de regarder le ciel, sa couronne tomberait de sa tête.” Une manière pour le film de nous glisser, bien au-delà de l’expression d’un passéisme, un idéal de noblesse.
Cloé Tralci
Réalisation et scénario : David Ingels. Image : Valentin Juhel et David Ingels. Montage : Camille Ringuet. Son : Mathieu Orban et Joseph Squire. Interprétation : Édith Saulnier et Édouard Sulpice. Production : GREC.


