Extrait
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Les enfants de la nuit

Caroline Deruas

2011 - 26 minutes

France - Fiction

Production : Les Films au long cours, La Mer à boire Productions

synopsis

Printemps 1944, dans un village reculé. Henriette, 20 ans, vit seule avec son grand-père Charles. Sa mère a rejoint le maquis. Henriette vit une histoire d’amour avec Josef, un jeune soldat allemand.

Caroline Deruas

Caroline Deruas, née en 1978 à Cannes, y découvre le cinéma, enfant, par l’intermédiaire du festival. En 2000, elle réalise son premier court métrage en noir et blanc, Les indolents, où elle met notamment en scène l’acteur Vincent Macaigne.

Entre 2005 et 2012, elle enchaîne plusieurs courts sélectionnés et primés dans de nombreux festivals. En 2006, L’étoile de mer est présenté à la Quinzaine des réalisateurs du Festival de Cannes. L’année suivante, Le feu, le sang, les étoiles est sélectionné au Festival de Locarno et reçoit le Grand prix du Festival de Bilbao en 2008. Les enfants de la nuit sorti en salles en 2012, remporte le Léopard d’argent au Festival du film de Locarno en 2011, ainsi que le Prix du public au Festival du court métrage de Vila do Conde en 2012. En 2014, elle signe La mal aimée, sélectionné à Côté court, à Pantin, tandis que Le rêve de Camille, interprété par Adèle Haenel et Clotilde Hesme, est réalisé dans le cadre de la résidence Émergence 2014.

Elle a également été pensionnaire à la Villa Médicis, décor de son premier long métrage : L’indomptée (2017). La réalisatrice revient ensuite au format court avec Les immortelles (2018).

Caroline Deruas a également collaboré en tant que scénariste et scripte avec de nombreux cinéastes tels que Valeria Bruni-Tedeschi, Yann Gonzalez, Romain Goupil et Philippe Garrel, avec qui elle a co-écrit Un été brûlant, La jalousie, L’ombre des femmes, L’amant d’un jour et Le grand chariot.

Critique

Il peut a priori sembler surprenant que Caroline Deruas, après avoir signé un film aussi engagé et brûlant que Le feu, le sang, les étoiles (qui se déroulait au lendemain d’élections et fut entrepris juste après celle de Nicolas Sarkozy, cf. Bref n°86), s’intéresse à la période de l’Occupation, la “nuit” du titre, qui plus est pour mettre en scène une histoire d’amour.

Mais cette artiste insoumise parvient à transcender le postulat conventionnel de son intrigue et le décorum habituel de l’époque pour poser toute la singularité de son regard. On découvre son héroïne de 20 ans, Henriette, à bicyclette, jupe plissée écossaise et socquettes, et sa rencontre avec Joseph, soldat allemand en garnison dans les environs, permet d’entendre le prévisible accent germanique du jeune homme. Mais, sur la base de ces motifs presque télévisuels qui, au moins, installent d’emblée l’atmosphère de toute une époque (précisément le printemps 1944), la réalisatrice fait une vraie proposition de cinéma, rattachant d’abord son film à une tradition cinématographique française. En off, la voix d’une narratrice prend volontiers des accents de certains films de Truffaut, tandis qu’un noir et blanc superbe et certaines fantaisies formelles (des flashbacks en iris) ramènent aussi à la Nouvelle Vague (des remerciements au générique sont d’ailleurs adressés par la directrice de la photographie à Raoul Coutard). Enfin, la jeune figure féminine jouée par Adèle Haenel renvoie immanquablement à celle d’Hiroshima, mon amour, une punition similaire étant appliquée, dans la Bretagne profonde comme à Nevers, à qui aurait été “coupable” de rapprochement intime avec l’ennemi…

Le sort de ces femmes, à la Libération, Jean-Gabriel Périot en avait montré toute l’insoutenable inhumanité en 2006, à travers les archives d’Eût-elle été criminelle… Caroline Deruas a justement choisi de représenter le châtiment par l’entremise d’une caméra amateur d’époque, qui donne une image réaliste tranchant avec la facture sophistiquée du corps du film. Elle nous met, du coup, directement en face de l’inévitable dilemme que suscitent ces images vues et revues : qu’aurions-nous fait et comment percevons-nous ces actes ourdis par de supposés “héros” de la Résistance ? Une fois de plus chez la réalisatrice, la politique, finalement, demeure partie prenante de la démarche créative.

Christophe Chauville

Article paru dans Bref n°103, 2012.

Réalisation et scénario : Caroline Deruas. Image : Pascale Marin. Montage : Floriane Allier. Son : Philippe Grivel, Sébastien Noiré et Frédéric Hamelin. Musique : Anthony Gonzalez (M83). Interprétation : Adèle Haenel, Felix M. Ott, Arthur Igual et Yves Donval. Voix : Laetitia Spigarelli et Maryline Canto.  Production : Les Films au long cours, La Mer à boire Productions.

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