Extrait
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Les cœurs en chien

Léo Fontaine

2022 - 12 minutes

France - Fiction

Production : Améthyste Films

synopsis

C’est la fin de l’après-midi et Ana et Océane, 17 ans, attendent devant le cinéma. Elles ont prévu d’aller voir le dernier blockbuster à l’affiche avec Théo et Samy. Plus qu’une simple sortie, il s’agit là d’un rendez-vous à quatre. Si Ana et Samy sortent déjà ensemble, pour Océane et Théo, c’est le premier rendez-vous. Peut-être le premier d’une longue histoire…

Léo Fontaine

Né à Châtenay-Malabry en 1994, Léo Fontaine a étudié le cinéma et la réalisation à l’école 3IS entre 2013 et 2016. C’est en dernière année qu’il a réalisé son premier court métrage, intitulé Fils de et interprété notamment par Anthony Bajon.

Par la suite, il réalise et produit, avec l’aide de son frère Brice Fontaine, producteur chez One Out, deux autres courts sur l’adolescence. L’un pour l’autre (2017) s'inscrit dans l'univers du football, mettant en scène un personnage de jeune joueur incarné par Yves-Batek Mendy, présent dans presque tous les films du jeune réalisateur.

Emma Forever, où l'on retrouve Lili Anselmetti, Victor Bonnel et Flavie Delangle, suit en 2019 et totalise une vingtaine de sélections en festivals. Il est notamment remarqué au Festival Music & cinéma à Aubagne, où il obtient une mention spéciale.

En 2021, Les cœurs en chien, produit par Améthyste Films, réunit un quatuor d’acteurs et d’actrices composé de Victor Bonnel, Manon Bresch, Bilel Chegrani et Héloïse Volle. Il est sélectionné au Festival Jean-Carmet à Moulins, au Festival européen du film court de Brest et au Festival Que du feu ! de Lyon.

Léo Fontaine enchaîne avec un nouveau court, Qu’importe la distance, produit par Offshore et qui suit l’itinéraire d’une mère rendant visite à son fils en prison pour la première fois. Il est présenté en compétition nationale au Festival de Clermont-Ferrand en 2024.

E,n parallèle, il achève son premier long métrage, Jeunesse, mon amour, distribué par Wayna Pitch au printemps 2024 et qui aborde à nouveau les thèmes de l’adolescence, de l’amitié et du passage à l’âge adulte.

Critique

Sur l’écran d’un téléphone, la galerie défile et se voit épurée des photos d’un jeune couple. Un pouce déterminé les efface une à une, balayant dans une spontanéité excessive ces moments de partage. C’est l’urgence de l’oubli, le besoin de ne jamais les avoir vécus. Le contrechamp sur le visage trempé de larmes d’Océane (Manon Bresch), présente sur les clichés, ne fait que renforcer la limpidité de son geste : l’histoire avec ce garçon a pris fin, probablement dans un passé proche tant semble s’exprimer un mélange d’émotions. Si Léo Fontaine utilisait jusqu’ici l’objet téléphone pour créer des ponts, il s’en sert à présent comme d’un outil séparateur, court-circuitant les relations, lâchant des “vus”. À l’instar d’un ghosting donc, la scène d’ouverture s’interrompt brutalement. Et de la réalité tragique d’Océane, nous basculons avec le garçon qu’elle s’efforçait d’effacer, Théo (Victor Bonnel), dans une tranche temporelle qui semble être “l’avant” de “l’après” auquel nous venons d’assister, dans un flashback affirmé par contrastes.

Les cœurs en chien vise alors l’audace de ne présenter que les extrémités, déployant en chiasme le fameux adage “C’est le début de la fin…” Sans crainte de devoir le conjuguer au passé, Léo Fontaine nous livre un troisième court métrage à fleur de peau, dont la construction narrative jette d’emblée un suspense sur ce quatuor de jeunes gens (Sami et Ana s’y ajoutant) occupés à fuir l’ennui d’un après-midi banal. Car si “fin” il y a, bien que présentée à l’ouverture, c’est de quelque chose. Alors de quoi ? La tension autour de cette question sera tenue tout du long, distillée dans l’élaboration d’objectifs propres à chacun des protagonistes. S’esquisse un film choral qui se vit dans le partage et l’instant, alimenté par une circulation de savoureux dialogues. De la simple envie de voir le dernier Avengers à celle d’Océane de sortir avec Théo, Léo Fontaine opte pour ce qu’il y a de plus simple à ressentir, chez nous comme chez ses personnages, et s’amuse de leur aptitude à se “débrouiller” face aux situations imposées. On se régale, ce court sans prétention parle à tout le monde, surtout de tout le monde.

Et il s’inscrit à la fois comme un prolongement et une rupture. Avant Océane et Théo, il y avait d’abord eu Sarah et Alban dans L’un pour l’autre (2017). Puis Emma et Ugo dans Emma Forever (2019). Avant eux, il y a donc eu ces personnages adolescents avec lesquels Léo Fontaine explorait déjà la naissance du désir, témoignait du débordement des émotions, contait le passage du moi au soi et, dans le même geste, l’amorce d’une altérité. La caméra y était déjà à l’écoute, attachée à saisir les états d’âmes discordants de la jeunesse ; et les décors y étaient déjà familiers, du lycée peu engageant à la chambre cocon, des ruelles empruntées tous les jours aux lieux de zonage pour tuer le temps. Avant Océane et Théo, il y avait déjà tout ça, il y a encore tout ça. Mais avant eux, il y avait aussi de l’espoir, pressenti dès les titres. Et loin semblait l’idée de commencer par une fin, qui plus est sombre comme celle-ci. Si les thématiques chères au jeune cinéaste y sont toutes reprises, c’est une octave en dessous avec un regard moins indulgent. L’histoire d’Océane et Théo n’aura pas le temps d’être inscrite à l’écran comme les précédentes. Elle sera ailleurs, dans un hors champ qui ne nous est pas destiné. Mais c’est précisément dans ce “vide”, dans ce “rien” de l’ellipse que ce film puise sa force avec lucidité et justesse.

Il nous est alors laissé le soin de compléter ce récit en puzzle, cet éclat d’existences que les manquants dynamisent. Nos repères temporels sont brouillés, le tout est tissé comme la toile des réseaux sociaux et Léo Fontaine reste ainsi fidèle à son souci de livrer un cinéma générationnel, d’évoluer avec son temps. La vie se doit d’être vécue intensément semble-t-il nous crier, car on ne sait jamais ni quand ni comment les choses finiront.

Lucile Gautier

Réalisation et scénario : Léo Fontaine. Image : Olivier Ludot. Montage : Hugues Dardart. Son : Guillaume Ladiray, Antoine Martin, Titouan Dumesnil et Lucien Richardson. Musique originale : Côme Ordas. Interprétation : Manon Bresch, Héloïse Volle, Victor Bonnel et Bilel Chegrani. Production : Améthyste Films.

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