Extrait
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Le vieillard du Restelo

Manoel de Oliveira

2014 - 18 minutes

Portugal, France - Fiction

Production : O Som e a Fúria, Épicentre films

synopsis

Une plongée libre et désespérée dans l’histoire telle qu’elle s’est déposée, comme un limon fertile, dans la mémoire de Manoel de Oliveira. Il réunit sur un banc du 21e siècle Don Quichotte, le poète Luis Vaz de Camoes, les écrivains Teixeira de Pascoaes et Camilo Castelo Branco. Ensemble, emportés par les mouvements telluriques de la pensée, ils dérivent entre passé et présent, défaites et gloire, vanité et folie, à la recherche de l’inaccessible étoile.

Manoel de Oliveira

Lorsqu'il s'éteint, le 2 avril 2015 à Porto, “sa” ville, Manoel de Oliveira est bien évidemment le doyen du cinéma mondial. C'est même le seul cinéaste qui, ayant tourné jusqu'à la fin de sa vie, ait signé des films après avoir passé l'âge de cent ans.

Né le 11 décembre 1908, il était donc âgé de presque cent-sept ans lors de son décès et avait débuté comme réalisateur en 1931, à travers le court métrage documentaire Douro, travail fluvial. Enfant de la bourgeoisie industrielle de la deuxième ville du Portugal, il avait contracté très jeune le virus du septième art, découvrant sur grand écran les films de Chaplin et ceux de Max Linder.

Son premier long métrage, Aniki bóbó, en 1942, annonce le néoréalisme italien et lui ouvre une carrière au long cours où se succéderont, en plus de courts et moyens métrages, plus de 30 longs métrages, de façon régulière à partir des années 1980, alors que le cinéaste est déjà septuagénaire !

Francisca, Le soulier de satin (adapté de l'œuvre de Paul Claudel), Les cannibales et Non, ou la vaine gloire de commander assoient alors son statut, mettant en exergue son goût pour l'histoire, la littérature, le théêtre et tous les arts en général.

Les années 1990 et le début de la décennie suivante représentent une période faste de sa carrière, avec de multiples sélections en festivals et des collaborations, en plus de ses fidèles interprètes (Leonor Silveira, Luis Miguel Cintra, Ricardo Trêpa, Leonor Baldaque…), avec des vedettes internationales telles que Marcello Mastroianni, Catherine Deneuve, John Malkovitch, Michel Piccoli, Irene Papas, Chiara Mastroianni, etc.

Val Abraham, Party, Voyage au début du monde et La lettre, entre beaucoup d'autres, en sont d'importants jalons. Son dernier long métrage, Gebo et l'ombre, sort en 2012, suivi d'un court métrage, Le vieillard du Restelo, tourné en 2014 et qui restera comme étant son ultime opus.

Manoel de Olivieira a reçu une Palme d'or d'honneur au Festival de Cannes en 2008, quatre ans après un Prix Robert-Bresson décerné à la Mostra de Venise.

Critique

Le premier plan du film s’ouvre sur une gravure de Gustave Doré, laquelle porte comme titre “Don Quichotte lisant et envahi par les personnages de ses livres”. Le vieillard du Restelo aurait pu s’appeler ainsi. À cent-cinq ans, un an avant de disparaître (en 2015), Manoel de Oliveira réalise une espèce de “fantasma” où il réunit sur un banc quelques-uns de ses fantômes littéraires. Le vieillard du Restelo est le film d’un réalisateur-lecteur hanté, fusionnant toutes les fictions (réelles, hypothétiques, historiques ou légendaires) dans un récit spéculaire, dans une narration emboîtée, clin d’œil direct ou addendum au Quichotte, voire réécriture partielle de l’œuvre de Cervantes que Jorge Luis Borges eut sans doute appréciée, et à travers laquelle s’articule non pas une, mais plusieurs réflexions sous forme de questions sur l’art, sur le pouvoir des mots, sur la mort ou le destin, sur l’âme ou la dualité qui l’obsède et la compose…

Comme le Quichotte, Le vieillard du Restelo est avant tout un film sur le pouvoir de la fiction. Pouvoir d’influence auquel Oliveira rend hommage ici. Mais également grande inanité illustrée notamment à travers l’épisode de la lecture des Lusiades de et par Camões au roi Don Sebastian pour l’avertir de sa prochaine défaite avant l’expédition d’Alcacer Quibir. C’est dans cet épisode des Lusiades que se trouve d’ailleurs le personnage titre, le vieillard du Restelo, alter ego du Quichotte.

Le vieillard du Restelo peut donc se voir comme un nouvel épisode du Quichotte, un récit où, tout en surimpression, les montagnes et cimes que traversent l’hidalgo se fondent dans l’écume ; où l’on ne sait plus comment situer l’époque où l’on se trouve, où il est difficile de faire la part des choses entre ce qui relève de la réalité et de la fiction ou du délire mystique. Tout s’entremêle, comme pour dire le tumulte ou les remous de l’âme humaine.

Il y a dans ce film une dimension éminemment ludique et expérimentale. Le générique de fin en éclaire d’ailleurs sa facture hybride, bricolée, relevant du collage, du geste qui associe entre autres, ici ou là, des extraits de longs métrages réalisés par Oliveira lui-même (Amour de perdition, 1979 ; Non ou la vaine gloire de commander, 1990 ; Le jour du désespoir, 1992 ; Le cinquième empire, 2004). Bricolage, mais tout néanmoins se tient. Magistralement. Comme s’il s’agissait ici à la fois d’un film-somme et d’un rêve dans lequel, plus qu’une méditation sur la vaine gloire de commander ou sur la défaite comme face pile de la gloire, le cinéaste agence une mise en abîme de son art de raconter des histoires. “Quelle victoire ?”, s’interrogent tous les personnages-auteurs à la fin du film. La victoire est celle d’être parvenu au bout du chemin, d’avoir cultivé son jardin. Botanique et zoologique, dans ces jardins (une belle définition de l’art…), on entend encore les rugissements de tigres et le chant des sirènes. 

Autour du Vieillard du Restelo de Manoel de Oliveira, le travail du Ciné-club de Caen, à la cinéphilie toujours généreuse, reste incontournable. Le film y est résumé au scalpel, son texte entièrement retranscrit, sa structure décrite jusque dans ses moindres détails et l’annexe de l’article apporte moult renseignements opportuns au sujet des personnages qui tous – exception faire de Don Quichotte, héros de l’œuvre éponyme de Cervantes – relèvent de la grande histoire de la littérature lusophone : Camões (1525-1580), l’auteur des Lusiades ; Camilo Castelo Branco (1826- 1890), considéré comme l’un des fondateurs du roman moderne portugais, qui finira par se suicider, et le poète Teixeira de Pascoaes (1877–1952).

Donald James

Réalisation et scénario : Manoel de Oliveira. Image : Renato Berta. Son : Henri Maïkoff, Jean-Christophe Winding et Tiago Matos. Montage : Valérie Loiseleux. Musique originale : José Luis Borges Coelho. Interprétation : Diogo Dória, Luis Miguel Cintra, Ricardo Trêpa et Mário Barroso. Production : O Som e a Fúria et Épicentre films.

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