Extrait
Partager sur facebook Partager sur twitter

Le roi des démons du vent

Clémence Poésy

2018 - 16 minutes

Belgique, France - Fiction

Production : FullDawa Films

synopsis

Soir du 31 décembre. Sophie, interne aux urgences psy au bord du burn-out, est chargée d’admettre Marie, une patiente perturbée amenée par la police après une crise. Malgré ses propos incohérents et sa détresse psychique manifeste, Marie a quelque chose de spécial qui trouble Sophie. Au cours de leur conversation, Marie la perce à jour et lui fait des révélations qui conduisent Sophie à interroger en profondeur sa relation amoureuse avec Vincent. Après ce réveillon, plus rien ne sera comme avant…

Clémence Poésy

Née le 3 octobre 1982 à L'Haÿ-les-Roses (Val-de-Marne), Clémence Poésy, née Guichard de son véritable patronyme, a fait ses premiers pas sur scène à l’âge de quatorze ans et effectué sa scolarité dans une école expérimentale à Meudon avant d'apparaître dans des téléfilms et séries dès 1999, ainsi que dans des courts métrages comme Petite sœur d'Ève Deboise en 2001.

C'est une réalisatrice allemande, Nina Grosse, qui lui confia son premier rôle au cinéma dans L'été d'Olga en 2003, avant qu'elle n'accède à une renommée internationale grâce à plusieurs volets des aventures d'Harry Potter.

En France elle a été dirigée Olivier Panchot (Sans moi, 2007), Éric Forestier (La troisième partie du monde, 2008), Philippe Ramos (Jeanne Captive, 2011), Nicolas Pariser (Le grand jeu, 2015) ou encore Shanti Masud (le moyen métrage Métamorphoses, 2014).

Passant à la réalisation, elle aura signé coup sur coup les courts métrages À bout portés (2016), Le roi des démons du vent (2018) et Le coup des larmes (2019), sélectionnés dans de nombreux festivals en France et à l'étranger. 

Elle a été dirigée sur scène par son père Étienne Guichard, dans Je danse toujours, au Théâtre de la Pépinière à Paris, en 2013. 

On l'a revue en tant que comédienne dans Un hiver en été de Laetitia Masson en 2023.

Critique

Avec À bout portés, court métrage documentaire daté de 2016, Clémence Poésy nous partageait déjà son appétence à filmer les visages. S’invitant dans la sphère intime des danseurs, flirtant avec leurs regards, cueillant en gros plan l’apparition ténue, aussitôt dissipée, d’une émotion. Avec Le coup des larmes, en 2019, Clémence Poésy explorait la violence que peut contenir l’amour lorsqu’il est trop puissant. Sacha est étouffée par ce qu’elle ressent pour Florence, incapable de le lui formuler car sans doute la sait-elle incapable d’écouter. Entre ces deux courts, il y a Le roi des démons du vent – réalisé dans le cadre des Talents Cannes de l’Adami – qui récupère les visages en gros plan du premier et annonce le lien infrangible que peuvent tisser deux femmes, insufflé dans le dernier.

Le film s’ouvre sur le visage d’une jeune femme endormie, épousé en gros plan donc, les pommettes pigmentées d’un flux lumineux électrique. Si l’ambiance sonore laisse d’abord croire au brouhaha étouffé d’une boîte techno, la rumeur s’éclaircit bientôt et l’amère réalité des urgences nous rattrape. “Docteure Menahem ?”… Sophie ouvre les yeux, ils sont vides, ou marqués de l’éreintante routine. Elle refait sa coiffure d’un geste hélicoïdal et assuré, au fond du couloir de cet HP aseptisé, là où une jeune femme s’égosille, le travail l’appelle. Marie est en pleine crise, le contraste avec Sophie est criant. L’une, filmée à une distance respectueuse, revêt une blouse blanche qui dit la réussite, la stabilité, la droiture et le sang-froid. L’autre, sur qui la caméra s’aimante de près, a le visage marqué, les cheveux en bataille et baigne dans un pull trop grand qui dessert son assurance déjà fragile. Pourtant, le lien infrangible entre les deux sommeille bien là, en creux. Le temps d’une consultation et de la nuit réveillonneuse qui l’enrobe, Clémence Poésy déploie ainsi le récit d’une révélation à soi-même imposée par une inconnue, décortique en image, lettre par lettre, le terme d’électrochoc.

Les pensées de Marie apparaissent d’abord impénétrables, incohérentes. Elles jaillissent ici et là, parfois interrogatrices et naïves, parfois affirmées, d’une déroutante certitude. Une instabilité qui lui fait arborer à l’égard de Sophie les traits d’une voyante indiscrète, d’une madame Irma blessante. Toutefois dans ce chaos que se révèle être leur échange, ses propos tracent un sillage indélébile. À l’instar de celui qui l’inspire, Pazuzu, roi des démons du vent, Marie est à la fois malfaisante et sibylline autant que divinité protectrice. Nous finissons par l’entendre et ses paroles, martiales et féministes, réveillent en nous la vigueur qui peut nous saisir à l’écoute du tube de Beyoncé Run the World (Girls). Alors, Sophie se sent soudain à l’étroit dans sa vie, troublée, suffocante, ça tourne en boucle dans sa tête. Et ça l’habite au moment de revoir son copain, subitement coupable, incapable de rien, ignorant être au cœur du problème. À noter néanmoins que si la réalisatrice charge les hommes dans l’écriture de ses dialogues, elle n’en fait pas des monstres à l’image. Car il y a encore ce flic, Manu, responsable de la présence de Marie à l’HP. Maladroit certes, délibérément paumé, mais dissimulant en vérité une profonde solitude. Il fuit ses proches, se dérobe à sa vie, préfère rester seul dans ces couloirs déserts. Le montage parallèle qui scinde ce court, sculpte une forme de miroir entre Sophie et lui. Les deux sont des électrons perdus, chacun à différents stades, provoquant chez nous une angoisse latente. Où en sommes-nous, nous, avec nos vies ? 

À l’échelle du film, la fête n’est qu’une rumeur âpre et dissonante, grignotée par le froid de l’hiver. Et c’est dans cet à-côté, dans l’exploration d’une réalité qui nous échappe – celle des soignants les soirs festifs –, que Le roi des démons du vent rappelle en filigrane la nécessité de garder ouverts nos yeux, la primordialité de ne jamais arrêter de se questionner. La tête relevée, de nouveau présente à elle-même, Sophie cultive désormais le doute, sonde l’équivoque. Une certitude en revanche, Clémence Poésy congédie merveilleusement les parenthèses encerclant le “girls” du morceau de Queen B.

Lucile Gautier

Réalisation : Clémence Poésy. Scénario : Clémence Poésy et Éric Forestier. Image : Joe Russell. Montage : Raphaëlle Martin-Hölger et Amélie Collart. Son : Dirk Bombey, Clément Badin et Frédéric Le Louêt. Musique originale : Ava Hervier. Interprétation : Chloé Astor, Paul Delbreil, Guillaume Pottier et Coralie Russier. Production : FullDawa Films.

À retrouver dans

Sélections du moment