
1962 - 11 minutes
France - Documentaire
Production : Les Films de la Pléiade
synopsis
Haut lieu de la mode, Paris sert de décor idéal aux photographes que l’on voit ici en pleines séances photos avec des mannequins. Dans les rues de la capitale ou sur les toits de ses immeubles, ces scènes insolites ne laissent pas indifférent le badaud et attirent inévitablement les curieux.
biographie
François Reichenbach
Né à Paris en 1921 au sein d'une famille d’industriels et collectionneurs, François Reichenbach grandit autour d’œuvres de grands maîtres tels que Chagall ou Braque, avant de devenir, pour un temps, commissionnaire de tableaux aux États-Unis.
C’est au début des années 1950 qu’il commence à réaliser des documentaires, filmant souvent de manière spontanée, sa caméra toujours proche de lui. Il disait regarder à travers elle les deux yeux grand ouverts, pour garder un lien vivant entre le réel filmé et lui-même.
Il réalise des films comme L’Amérique insolite en 1960, pour lequel Chris Marker a collaboré au scénario, La douceur du village en 1964 (Grand prix du court métrage à Cannes) ou encore Un cœur gros comme ça, dédié à un boxeur sénégalais (Prix Louis-Delluc en 1962), ainsi que de nombreux autres portraits de célébrités telles qu’Orson Welles, Barbara, Pelé, Johnny Hallyday ou encore Arthur Rubinstein, pour un film qui lui permet d'obtenir l’Oscar du meilleur documentaire en 1970.
François Reichenbach est décédé le 2 février 1993 à Neuilly-sur-Seine, à l'âge de soixante-et-onze ans.
Critique
À l’image de bien d’autres documentaires tournés par François Reichenbach, Le Paris des mannequins nous invite à un singulier voyage au pays des formes. Cette approche plastique est ici accentuée par le sujet filmé, puisque ce court métrage retrace une séance photo de mannequins d’abord dans un Paris touristique puis dans des ruelles plus modestes et pittoresques de la capitale. Si certaines pauses sur les toits rappellent le charme onirique et hors du temps du muet Paris qui dort de René Clair (1924), c’est surtout à tout un pan du cinéma documentaire des années 1950-60 que nous renvoie ce film de Reichenbach, homme de son temps, souvent désigné parmi les précurseurs de la Nouvelle vague versant documentaire. Car il s’agit ici d’appréhender la réalité filmée à travers un regard interrogatif, presque méditatif, à la fois malicieux et poétique comme le feront chacun à leur manière Alain Resnais (on pense notamment au Chant du Styrène, 1959), Agnès Varda et Chris Marker (avec qui Reichenbach tournera La sixième face du Pentagone, 1968).
Le texte très littéraire de Morvan Lebesque qui accompagne les images nous entraîne lui aussi sur de drôles de hauteurs, dignes de l’Olympe, puisqu’il nous invite à regarder les mannequins comme des déesses et dieux des temps modernes. Les hommes et femmes mis en scène semblent littéralement sortir d’un moule : c’est l’impression que donne la porte tambour par laquelle ils se présentent à nous, telles des pièces sorties d’une usine. Cette entrée en scène est emblématique de la façon dont chaque plan du cinéaste semble s’inscrire au parfait croisement entre l’époque – qui façonne des corps presque reproductibles, prêts à l’emploi publicitaire – et la rêverie mythologique façon Roland Barthes. De ce mélange naît une appréhension des formes dans ce qu’elles ont d’à la fois totalement extraterrestre et d’étonnamment intime. Le Paris des mannequins semble à ce titre contenir les traces de l’expérience américaine du cinéaste, notamment de son documentaire L’Amérique insolite (1960), dans lequel Reichenbach observe et saisit avec un mélange d’émerveillement et de distance les images (visages et paysages) qui racontent une civilisation. Figures artificielles, irréelles, ces mannequins révèlent par contraste, un autre Paris, plus populaire, à la manière amusée de Jacques Tati.
La voix du commentaire préfère entretenir le mystère des visages – le cinéaste affectionnait les masques – que de le percer. Reichenbach aime laisser le spectateur face à des plans pour ainsi dire nus. Cette réalité brute de l’image est révélée par une photographie d’une grande beauté et un montage libéré d’une narration classique pour laisser place à un vagabondage contemplatif éminemment musical – une des grandes forces de ce cinéma libre, dont se dégage une ironie singulière, douce et un brin mélancolique.
Amélie Dubois
Réalisation et scénario : François Reichenbach. Image : Jean-Marc Ripert. Montage : Jane Dobby. Musique originale : Jacques Loussier. Voix : Dominique Paturel. Production : Les Films de la Pléiade.