
2023 - 19 minutes
France - Fiction
Production : Fundi
synopsis
Dans le lagon paisible de Mayotte, Mariama et son père partent à la pêche quotidienne et à la recherche de la pirogue qui leur a été volée. Au loin, McCombe, un volcan sous-marin, gronde.
biographie
Germain Le Carpentier
Germain Le Carpentier est né le 26 février 1991 à Auxerre, dans l'Yonne. Scénariste, réalisateur et directeur de la photographie, il a étudié à la Sorbonne Nouvelle et a enchaîné plusieurs expériences en production, consultations et recherches artistiques et documentaires, entre l’Europe, les États-Unis et l’Argentine. Il est l'auteur de quatre courts ou moyens métrages remarqués depuis 2020 : Les prémices (2020), Le ciel s'est déchiré (2021), Laka (2023) et Haraka haraka (2024).
Les deux premiers, fonctionnat en diptyque, étaient interprétés par Maxime Roy, qui y donnait successivement la réplique à Clara Ponsot puis Camille Claris. Ils ont été sélectionnés ou primés au Festival du film court européen de Brest. Laka et Haraka Haraka ont pour leur part été tournés à Mayotte, où le réalisateur s'est alors installé, collaborant activement au développement du secteur cinématographique de ce territoire. Laka est même le tout premier film réalisé sur le territoire et en langue shimaoré. Il a été sélectionné aux 22es Prix UniFrance au Festival de Cannes.
Germain Le Carpentier vient d'achever un nouveau court métrage documentaire, Mandzarsoa (2024), tourné durant la récente période cyclonique à Mayotte.
Critique
Le mot laka signifie “pirogue” en shimaoré littéraire. Le shimaoré, dialecte du kiswahili, est une langue parlée sur l’île de Mayotte. C’est dans cette langue que s’expriment les deux personnages principaux du film, Mariama et son père (Ali). Un jour, Ali découvre que sa pirogue a disparu. S’agit-il d’un coup monté par des esprits maléfiques ? Ou bien s’agit-il plus simplement du vol perpétré par une personne malveillante ? Pour résoudre le mystère, le père emprunte une autre pirogue à un ami – avec qui il partage visiblement la foi islamique, tandis que l’on entend au loin l’adhan, l’appel à la prière. Mariama, de son côté, observe. Élevée comme un garçon, elle agit avec calme et tact. Plus exactement, elle suit la volonté du père, sans pour autant renier ni la singularité qui l’habite, ni la vitalité qui l’anime. En traversant le sublime lagon à la rame, les deux personnages se mettent en quête de l’objet dérobé. À la deuxième tentative, ils parviennent à rattraper le malfaiteur. La rixe s’avère assassine, ce qui amènera le père à demander à sa progéniture : “Tu crois que Dieu me pardonnera ?”. Et Mariama de répondre tout de go : “Dieu pardonne tous ses enfants”. Autour d’eux se déploie un paysage luxuriant, le film évitant soigneusement l’effet “carte postale”, préférant en révéler l’épaisse et troublante beauté.
Le récit repose sur une étonnante superposition narrative : l’intrigue mineure, qui renvoie à la nécessité impérieuse de récupérer la pirogue, rejoint l’intrigue majeure, à savoir l’imminence d’un déchaînement géologique. Les deux situations, certes imbriquées l’une dans l’autre, sont l’objet d’un intéressant renversement. L’obsession envers la pirogue volée, perçue a priori comme fruit de l’irrationalité du père, dissimule quelque peu le grondement grandissant venant de l’environnement naturel, palpable à travers des bruissements du vent et le mouvement des vagues. Cette inversion des valeurs est l’un des enjeux du film : montrer la prééminence du mythologique lorsque se présente à l’être humain des questions qui le dépassent, qui lui paraissent inconcevables. Il est à noter à ce propos que le scénario du film a été co-écrit par Germain Le Carpentier et Mohamed Allaoui, ce dernier connaissant subtilement les légendes qui sont racontées sur l’île de Mayotte. Un aveu relatif aux circonstances de la naissance de Mariama vient néanmoins éclairer l’urgence maladive du père. La mythologie a, comme l’avait remarqué Montesquieu, des fondements tout humains.
L’esthétique éruptive de Laka trouve son principal point d’ancrage dans le personnage de Mariama lui-même (interprété par Hafidati Combo), dont la présence à l’écran s’avère hypnotique. À la corpulence fascinante et au regard perçant, la protagoniste semble tout à fait lucide quant aux lubies involontairement destructrices de son paternel. Dès le début du film, sa manière d’être dans le paysage, de s’y glisser pour mieux y adhérer pleinement, révèle au spectateur l’intelligence sensible qui irrigue son intériorité. La sublimité extérieure du paysage semble refléter en miroir le champ intime du personnage, sans qu’elle soit transmutée en une quelconque figure mystique. Le geste d’émancipation qu’elle réalise, à travers une exploration à la nage de l’écosystème sous-marin du lagon, montre au contraire la curiosité ordinaire qui la stimule. En se distançant du genre du film scientifique à la Jacques-Yves Cousteau, la séquence révèle tout autant que le personnage est joyeusement en quête du plaisir simple. La présence souvent mutique de Mariama n’est que la surface d’un caractère aussi simple qu’engagé. Le cri sourd qu’elle pousse dans les dernières secondes lui confine un caractère volcanique, accordant au film un sens presque politique, la fable éco-généalogique contenant le sel d’une utopie féministe.
Mathieu Lericq
Réalisation : Germain Le Carpentier. Scénario : Mohamed Allaoui et Germain Le Carpentier. Image : Germain Le Carpentier. Montage : Mona-Lise Lanfant et Émeline Tissandier. Son : Berzed Chamssidine, Hugo Mouchart et Martial de Roffignac. Musique originale : Fred Augé. Interprétation : Hafidati Combo, Ali Mounir, Hamada Madi et Abdouchakour Ahamada. Production : Fundi.