
2021 - 14 minutes
Slovénie, France - Animation
Production : Studio Virc, Ikki Films
synopsis
Un voyage dans la jeunesse et les souvenirs intimes d’une grand-mère illustre le statut des femmes slovènes pendant la première partie du XXe siècle.
biographie
Émilie Pigeard
Émilie Pigeard est née en 1990 aux Lilas. Après un an passé à la Sorbonne et une année préparatoire à l’atelier de Sèvres, elle intègre les Arts décoratifs de Paris en 2010 et y fait le choix du cinéma d’animation. Au bout de ses cinq ans de cursus, elle voit son court métrage de fin d’études, Encore un gros lapin, être remarqué et produit par les Films sauvages.
En 2014, elle part étudier six mois à la Hochschule für Film und Fernsehen (HFF) dans le cadre de l’échange Erasmus, avant de s'installer quelques mois à Chicago, puis à New York.
Revenue en France, elle réalise un film pour jeune public, Bamboule (2018), pratiquant aussi le dessin et organisant des ateliers pour enfants.
En février 2023, La vie sexuelle de Mamie, qu'elle a coréalisé avec la Slovène Urška Djukić, est récompensé du César du meilleur court métrage d'animation. Il avait auparavant été présenté dans une kyrielle de manifestations importantes, du Festival de Clermont-Ferrand à celui d'Ottawa, en passant par Aix-en-Provence, Annecy, Tampere ou Winterthur. Il a remporté le Prix du meilleur film d'animation à Go Short, à Nimègue (Pays-Bas).
Urška Djukić
Née en 1986 à Ljubljana, en Slovénie, Urška Djukić a étudié à l'Academie des Arts de Nova Gorica, dont elle est sortie diplômée en master en 2014. Créant des récits visuels hybrides entre prises de vue réelles et différentes techniques d’animation, elle a réalisé Dober tek, zivljenje ! en 2016 (soit “Bon appétit, la vie !” en VF) , The Right One en 2019 (en coréalisation avec Gavriil Tzafkas) et La vie sexuelle de mamie, cosigné par Émilie Pigeard, en 2021.
Le film est récompensé du César 2023 du meilleur court métrage d'animation en France. Il avait auparavant été présenté dans une kyrielle de manifestations importantes, du Festival de Clermont-Ferrand à celui d'Ottawa, en passant par Aix-en-Provence, Annecy, Tampere ou Winterthur. Il a remporté le Grand prix de la compétition internationale à Tampere, en Fin lande, et le Prix du meilleur film d'animation à Go Short, à Nimègue (Pays-Bas).
Critique
Une tendance de la création contemporaine semble partir d’un double postulat : une part féminine de l’Histoire antérieurement dissimulée serait à dévoiler, et le cinéma serait le moyen privilégié pour imaginer — au sens de mettre en images, de donner à voir — ce dévoilement à la fois urgent et nécessaire. Ce n’est pas tant la question de la reconnaissance du rôle joué par les femmes cinéastes qui s’avère cruciale que celle de l’identification d’enjeux sensibles, faisant écho à des contextes au sein desquels le schéma patriarcal a engagé certaines violences spécifiques touchant précisément au corps (et au cœur) des femmes. La vie sexuelle de mamie suit le mouvement en considérant comme matière première les témoignages de femmes ayant vécu en Slovénie au début du XXe siècle et réunis dans un livre publié en 2013 par la romancière féministe Milena Miklavčič : Ne joue pas avec le feu, le cul et les serpents (Ogenj, rit in kače niso za igrače). La réalisatrice slovène Urška Djukić et l’animatrice-illustratrice française Émilie Pigeard ont littéralement transfiguré cette matière pour en faire un film si singulier, et si essentiel.
La base textuelle originelle issue de l’ouvrage de Milena Miklavčič, aussi riche qu’hétérogène, n’est pas reprise in extenso dans La vie sexuelle de mamie. Il s’est agi pour les créatrices de trouver un point de focalisation, à savoir le personnage d’une grand-mère fictive prénommée Véra, qui puisse à la fois réunir dans son parcours différents enjeux mais aussi permettre l’identification du spectateur. La personnalisation unificatrice produit l’universalisation du propos. Aussi le personnage, dont on suit la trajectoire tragique à travers la voix-off, vit-il diverses situations marquées par la peur et la contrainte : les grossesses à répétition, le confinement obligatoire, l’effectuation de l’ensemble des travaux domestiques, la sexualité non-consentie, etc. C’est au fond de l’histoire d’une famille dont il est question, marquée par les traumatismes vécus par une grand-mère soumise à un système qui refuse toute forme de réflexivité sur les abus et les contraintes subies, mais dont les conséquences affectent les liens familiaux dans leur ensemble, de génération en génération.
Lauréat du César 2023 du meilleur court métrage d’animation, La vie sexuelle de mamie en impose par son originalité. Le traitement visuel de cette trame biographique peut surprendre tant il déplace les codes classiques du dessin animé. Renonçant à la combinatoire paysage-figures, il préfère laisser évoluer sur fond blanc des éléments épars, fixes ou mouvants, qu’il s’agisse de bouts d’espaces (fenêtres, routes), de figures humaines (principalement la grand-mère sous les traits d’une jeune femme) et de symboles (croix religieuses, par exemple). Notons la présence d’archives photographiques, au début et à la fin du film, leurs recadrages révélant les tensions nerveuses autant que sociales et intimes à l’œuvre. L’univers visuel manie avec brio les métaphorisations (figure féminine épousant la forme carrée que représente le foyer, maison devenant une barque voguant sur l’eau, etc.) et les jeux d’échelles, capable de pointer une ascendance masculine longtemps légitimée. La technique choisie relève du gribouillage enfantin et cartoonesque, laissant parfois jaillir tout l’humour (noir) de cette œuvre édifiante.
Mathieu Lericq
Réalisation : Urška Djukić et Émilie Pigeard. Scénario : Urška Djukić et Maria Bohr. Animation : Émilie Pigeard. Montage : Urška Djukić. Son : Julij Zornik et Žiga Rangus. Musique originale : Tomaž Grom. Voix : Doroteja Nadrah, Jure Henigman, Mara Vilar, Božena Zabret et Bojana Ciglič. Production : Studio Virc et Ikki Films.