
2021 - 20 minutes
France - Fiction
Production : Latika
synopsis
Deux jours avant le mariage de sa fille, André débarque chez elle à l’improviste. C’est l’occasion de se retrouver et de se rendre à l’évidence : elle a grandi, il a vieilli. Alors, ensemble, ils vont enterrer la vie d’avant.
biographie
Anaïs Deban
Anaïs Deban a obtenu en 2012 un Master 2 en journalisme, option réalisation, à l'ESJ de Paris, puis suivi un cursus en Art dramatique au Conservatoire Claude-Debussy, dans le XVIIe arrondissement, entre 2015 et 2017.
On la voit comme comédienne sur une scène off du Festival d'Avignon en 2018, dans Nos rêves de Thibaut Ségouin, sur une mise en scène de Xavier Gallais, et elle intervient en tant que coscénariste, la même année, sur le film d'Alex Lutz Guy, présenté en clôture de la Semaine de la critique, à Cannes.
Elle passe à la réalisation avec un film de deux minutes conçu pour le Nikon Film Festival (Je suis un début d'histoire, 2017), puis un documentaire pour Canal+ Family (Le voyage d'Adèle, 2020) et un court métrage de fiction réunissant Tchéky Karyo et Ophélie Bau, La vie d'avant. Le film a été projeté au Festival de Clermont-Ferrand 2023 dans le cadre d'un programme de carte blanche confié à Canal+.
Anaïs Deban développe actuellement, toujours avec la société de production Latika, un projet de premier long métrage dont le titre est Au crépuscule.
Elle a par ailleurs travaillé comme journaliste, principalement pour des sites internet, et comme chroniqueuse radio, aux côtés de Brigitte Lahaie, sur les ondes de Sud Radio.
Critique
Réunir deux acteurs ou actrices suscitant admiration ou affection, pour les mettre face à face, voilà qui peut être une raison tout à fait légitime d’avoir envie de faire un film, de la part d’un ou une cinéaste. Et de le réussir. Avec La vie d’avant, ce n’est sans doute pas la seule motivation, bien entendu, de la réalisatrice Anaïs Deban, pour ce qui était son premier court métrage produit. Mais on comprend la tentation de faire de ces deux-là un tandem père/fille pas forcément évident au premier abord. Tchéky Karyo, figure familière de notre imaginaire cinéphile depuis plusieurs décennies (on se souvient l’avoir découvert à travers Le retour de Martin Guerre et La balance1, en 1982, donc aussi dans la “vie d’avant”…), et Ophélie Bau, la principale révélation de Mektoub, My Love : canto uno d'Abdellatif Kechiche en 2017, que l’on n’a pas revue tant que ça depuis… Ici, tous deux se voient donc attribuer un lien filial : André Munch (un nom d’artiste s’il en est) vient frapper chez Délia, sa grande fille qui est à la veille de se marier. On devine vite que ce père n’a pas été modèle, mais la finesse de l’écriture est de ne jamais exagérer sur ce qui sépare les personnages. Il n’y aura pas de règlement de comptes explosif à la Festen : André n’est pas un monstre, juste un géniteur qui n’a pas toujours été à la hauteur, comme beaucoup de types de sa génération – qui a dit boomer ? – et spécialement dans son milieu d’acteurs “wanna be”, volontiers zonards et séducteurs, forcément d’abord égocentrés.
André a vieilli sans s’en rendre compte, et sa fille le découvre lors de cette soirée passée ensemble. Il cabotine, fait comme si, emploie des mots qui ne sont plus vraiment de son âge… Il n’ose pas le dire, mais pour lui, sur beaucoup de points, c’était mieux avant, comme de pouvoir cloper n’importe où, et surtout dans les lieux publics. Il tente le coup de revenir en grâce auprès de Délia, aussi, qui est pour lui “la plus belle”, et qui est en passe de suivre ses traces en jouant sur scène prochainement. Le metteur en scène de la pièce (qui est “un con”) comme le futur-mari de Délia restent hors-champ, n’apparaissant qu’à l’intérieur de la conversation, sans qu’on ne les voie jamais. Le film circonscrit seulement ce moment des retrouvailles, à une terrasse d’un rade ironiquement baptisé “Le Paradis”, où Délia affirme ne jamais venir, d’un kebab tenu par un Tunisien jouant les Ritals et faisant des pizzas, des tiramisus et des expressos – un truc qui n’existait pas non plus “avant” – et d’une boîte de nuit où la fille s’éclate sur la piste alors que le père a une sorte de malaise, qui les effraie tous deux.
Le choix de la sobriété dans la narration suffit à montrer la force du lien, même si leur “vie d’avant” est peu évoquée, André parlant plutôt de sa propre enfance et de la figure de son daron malfaiteur. Aujourd’hui, il a besoin d’une béquille, sans pour autant avoir vraiment perdu de sa superbe. Sa fille, dans la force de l’âge, peut en être une, pour peu qu’elle n’ait pas trop honte de lui le jour de ses noces. La vie d’après dépend forcément de celle d’avant. On en restera là, sans en savoir plus, tout en haut d’une cage d’escalier, dans un sourire où l’agacement le dispute à l’attendrissement.
Christophe Chauville
1. Respectivement réalisés par Daniel Vigne et Bob Swaim, qui n’auront guère œuvré au-delà des années 1980…
Réalisation et scénario : Anaïs Deban. Image : Jérémie Attard. Montage : Lola Butstraen. Musique originale : François Villevieille. Son : Charlotte Comte, Rémi Durel et Julie Tribout. Interprétation : Ophélie Bau, Tchéky Karyo, Mohammed Sadi et Fouad Hachani. Production : Latika.