
La perra
Carla Melo Gampert
2023 - 14 minutes
France, Colombie - Animation
Production : June Films, Evidencia Films
synopsis
Être fille, être mère, être chienne. Devenir femme.
biographie
Carla Melo Gampert
De nationalité colombienne, Carla Melo Gampert est née en 1993 et a étudié à l’Université de la Javeriana de Bogota et àl’Université Torcuato di Tella de Buenos Aires. Elle a débuté son parcours dans les arts visuels et les arts vivants, et tout spécialement la danse contemporaine, à Bogota.
Entre dessin et photographie, elle aborde l'univers de l'audiovisuel par la création animée, participe en 2017 à une série de workshops à la Congo Films School, en réalisation et en postproduction, où elle mène à bien un court métrage de fiction, Ruido (2019).
En animation, son film d'études Sometimes Two Herons (Por ahora un cuento, 2018) aura été sélectionné en compétition à Annecy, tout comme son court suivant, La perra (soit “La chienne”, 2023), qui est aussi montré aux Festival de Cannes et de Toronto, recevant en outre dans son pays d'origine le Macondo 2024 du meilleur court métrage d'animation, soit l'équivalent local du César. Il est coproduit côté français par June Films.
Critique
Le premier court métrage professionnel de la réalisatrice colombienne Carla Melo Gampert nous met, dès son titre, sur une fausse piste. S’il y a bien une chienne dans le récit, les principales protagonistes sont surtout une femme-oiseau au corps outrageusement voluptueux, perpétuellement dénudé, et sa fille, qui grandit au cours du film, et devient une jeune femme à son tour. Mais c’est évidemment à une autre acception du mot “chienne”, plus imagée et plus négative, que fait référence le titre. La féminité, ses marqueurs et sa perception, sont en effet au centre du récit, qui met crûment en scène les différentes réalités de la vie de femme, y compris lorsque les regards et comportements extérieurs lui renvoient une image dégradée, voire humiliante, d’elle-même.
Sans dialogues ni musique – mais ponctué de cris d’oiseaux glaçants qui expriment les sentiments des protagonistes –, La perra nous confronte inconfortablement à l’expérience intime de la féminité, jalonnée de scènes effrayantes ou violentes. Encore enfant, juchée sur le dos de sa chienne qui est sa meilleure amie, la petite fille est, par exemple, témoin des gestes brutaux et malaisants du compagnon de sa mère, qui la traite comme un objet soumis à son seul désir. Plus tard, en marchant dans les rues tout en verticalité inquiétante d’une ville qui ressemble à Bogota, la jeune fille est elle-même la victime de sifflements agressifs et de remarques désobligeantes. Devenue femme, enfin, elle subit les assauts sexuels d’un homme qui ne se soucie que de son propre plaisir.
Le film est réalisé sur papier (ce qui représente environ 17 000 dessins), en utilisant de l’aquarelle et des encres de couleurs qui, par leur fluidité et leur aspect vibrant, semblent se faire le reflet des émotions fluctuantes du personnage principal, entre peur, colère et sidération. L’animation épouse également ces montagnes russes émotionnelles à travers la rapidité du mouvement et l’exécution du trait qui recherchent moins la beauté ou la maîtrise qu’un geste venant de l’intérieur, jeté sur le papier avec un sentiment d’urgence faisant écho aux thématiques du récit.
Carla Melo Gampert propose ainsi un film à la noirceur assumée qui utilise la force d’évocation de l’animation (métamorphose et déformation des corps, jeux d’échelle, recours à l’abstraction…) pour dénoncer le cycle de la violence envers les femmes. En parallèle, elle observe la manière dont la culpabilité se reproduit de génération en génération, chaque nouvelle jeune fille se pensant fondamentalement responsable de ce qu’elle subit, et entretenant avec son propre corps une relation ambivalente et complexe. Un corps que la réalisatrice n’hésite pas à exposer et représenter frontalement, comme pour exorciser une bonne fois pour toutes les convoitises, préjugés et autres sévices dont il est perpétuellement l’objet et permettre – enfin – que soit posé sur lui un autre regard.
Marie-Pauline Mollaret
Réalisation, scénario et animation : Carla Melo Gampert. Son : Juanma López et Daniel Giraldo. Production : June Films et Evidencia Films.