Extrait
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La mécanique des fluides

Gala Hernández López

2022 - 39 minutes

France - Documentaire

Production : L’Heure d’été, Après les réseaux sociaux

synopsis

En 2018, un incel appelé Anathematic Anarchist a publié une lettre de suicide sur Reddit intitulée "L’Amérique est responsable de ma mort". La Mécanique des fluides est une tentative de trouver des réponses à ses mots. Une dérive virtuelle sur Internet à la recherche de ses traces numériques qui finit par se transformer en un voyage intérieur entre nos solitudes connectées.

Gala Hernández López

Née en 1993 à Murcie, en Espagne, Gala Hernández López vit entre Paris et Berlin. Elle est artiste et chercheuse : doctorante à Paris 8, ATER en Études Visuelles et Art Numérique à l’Université Gustave Eiffel et Visiting Researcher à la Filmuniversität Babelsberg Konrad Wolf (Allemagne), elle s'est engagée dans une thèse portant sur la capture d’écran dans le cinéma et l'art post-Internet. Elle a co-fondé et co-dirige l’association de recherche et création “Après les réseaux sociaux”.

En 2022, elle réalise son premier moyen métrage : La mécanique des fluides. Le film est premier volet d’une série d’essais expérimentaux proposant une réflexion sur la politique de la représentation de la masculinité contemporaine sur Internet.

Le film a été présenté en première mondiale au FIFIB de Bordeaux (où il a remporté le Grand prix de la compétition Contrebande, le Prix de la meilleure auteure de court métrage toutes compétitions confondues, décerné par France Télévisions, et le Prix du meilleur court métrage de la compétition Contrebande décerné par Brefcinema). Le film a également été présenté au Festival Dok de Leipzig en compétition internationale.

Il a remporté en bout de carrière, en 2024, le César du meilleur court métrage documentaire. Gala Hernández López a alors achevé un nouveau film court expérimental : For Here Am I Sitting in a Tin Can Far Above the World. À nouveau produit par Don Quichotte Films, il est présenté à la Berlinale, dans la section “Forum Expanded”.

Critique

L'écran est complètement noir tandis qu'un homme soliloque sur la condition humaine à l'ère numérique. Devant sa webcam, il sort du néant, affublé d'une cagoule pour ne pas dévoiler sa vulnérabilité. Le ton est véhément, vindicatif, et l'image, légèrement floutée, endosse une aura captivante.

Au commencement, il y a les pixels, cet amas hypnotisant, informe et immatériel. Puis cette lettre émanant d'un profil au pseudo mystérieux, “Anathematic Anarchist”, un jeune Américain obstinément suicidaire, logé sur des forums d'incels, ces hommes involontairement célibataires, souvent misogynes, vomissant leur haine et leur frustration sociale sur la multiplicité des interfaces disponibles.

Avec ce documentaire protéiforme, la réalisatrice chercheuse et féministe Gala Hernández López se heurte à ces paradigmes embrouillés, et sonde l'internet, où se dissimule au revers des lignes de code, une violence exacerbée, et derrière les écrans, une peine abyssale. Elle se met alors à la recherche de cet individu insaisissable, perdu dans les limbes algorithmiques, pour mener une quête réflexive sur nos solitudes contemporaines.

Le cinéma a-t-il le pouvoir de représenter internet, de véhiculer ses flux changeants ? Comment rendre compte d'un environnement aussi hirsute qu’irreprésentable, et existe-t-il une poétique du monde digital ?

On pense à Michael Mann, ce réalisateur visionnaire voulant administrer au net sa vitesse délétère dans Hacker, ou encore à Swatted d'Ismaël Joffroy Chandoutis qui réfléchissait déjà sur de nouveaux modes de représentations, sans caméra, avec une nouvelle plasticité. L'élasticité et l'impermanence des images ont pourtant des répercussions concrètes dans le monde réel. Les nouvelles technologies s'imbriquent et modifient nos sociétés, comme dans un autre film de Gala Hernández López, For Here Am I Sitting in a Tin Can Far Above the World (2024), sur les crypto-monnaies liées aux pernicieuses crises économiques.

La mécanique des fluides – primé récemment du César du meilleur court métrage documentaire – est un collage d'extraits composites : de modélisation 3D, de jeux vidéo, de cartographie numérique, ou encore d'extraits de films, notamment de Joker de Todd Philipps (figure de proue des incels), fonctionnant tels des mirages équivoques. Les GAFA deviennent des aspirateurs de données déshumanisantes ; les applications de rencontre ne permettent plus les connections ; tandis que les forums, eux, sont engorgés par la colère. En scrutant ces interstices, on a le sentiment d'assister à un monde souterrain, annexe, et d'être face à des contrebandiers du cyberespace échafaudant des plans délictueux.

C'est une voix-off doucereuse qui nous promène dans ce milieu d'une noirceur confondante. À travers cette correspondance ambivalente et cette déambulation virtuelle, le spectateur entreprend un voyage labyrinthique et mène une réflexion sur de nouveaux types de récits, entre statistiques contingentes et ruines de l'âme.

William Le Personnic

Réalisation et scénario : Gala Hernández López. Image : Artur-Pol Camprubí. Montage : Gala Hernández López, Alberto Dexeus et Aleix Fernández Hernández. Son : Toi Giordani, Diego Delgado, Mélia Roger et Charli Masson. Musique originale : Elisa Pereira Martins. Voix off : Gala Hernández López. Production : L'Heure d'été et Après les réseaux sociaux.