Extrait
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La main sur la gueule

Arthur Harari

2007 - 56 minutes

France - Fiction

Production : Les Films du Dimanche

synopsis

Bruno, accompagné de son amie Liliane, débarque chez son père qui vit seul en pleine campagne. Il a quelque chose à lui demander.

Arthur Harari

Arthur Harari, né en 1981, a grandi à Bagnolet. Admirateur de Renoir, Pialat et Eustache, il commence à étudier le cinéma à l’université de Saint-Denis, où il rencontre entre autres Justine Triet, aujourd’hui sa compagne et réalisatrice de La bataille de Solférino et Victoria. Il arrête bientôt les cours pour passer à la réalisation, toujours avec l’aide de ses deux frères, Tom Harari, chef-opérateur reconnu, et Lucas Harari, acteur et également dessinateur.

En 2005, son court métrage Des jours dans la rue est sélectionné à Côté court, à Pantin. En 2007, il poursuit avec le moyen métrage La main sur la gueule, qui marque le début de sa carrière. Le film reçoit le Grand prix aux Rencontres de Brive et le Lutin du meilleur court métrage.

En 2013, Peine perdue est un nouveau succès : Grand prix au Festival Entrevues de Belfort, Prix spécial du jury au festival Côté court de Pantin, Prix de la jeunesse à Clermont-Ferrand… Son premier long métrage Diamant noir, sur le milieu des diamantaires d’Anvers, sort en salles en 2015, couronné d'un net succès critique.

En 2020, il réalise son deuxième long métrage : Onada. 10 000 nuits dans la jungle. Le film est présenté dans la section “Un certain regard”, au Festival de Cannes, en 2021. Il reçoit l'année suivante le César du meilleur scénario, se voyant en outre nommé en meilleur film et en meilleure réalisation.

Arthur Harari coécrit alors avec sa compagne Justine Triet le quatrième long métrage de cette dernière, Anatomie d'une chute. Le film décroche la Palme d'or du Festival de Cannes 2023, ainsi que six César l'année suivante. Il obtient aussi alors l'Oscar du meilleur scénario original à Hollywood et deux Golden Globes.

En 2024, il est également nommé aux César dans la catégorie du meilleur second rôle masculin pour sa prestation dans Le procès Goldman de Cédric Kahn, dans lequel il incarne l'avocat Georges Kiejman.

Il coécrit alors avec son frère Lucas Harari, illustrateur, une bande dessinée publiée par celui-ci aux éditions Sarbacane : Le cas David Zimmerman. Intitulée L'inconnue, une adaptation cinématographique du livre par ses soins, avec Léa Seydoux et Niels Schneider, est en tournage au printemps 2025 à Paris et en Région Pays de la Loire.

 

Critique

Accompagné de Liliane, sa petite amie, Bruno rend visite à son père isolé à la campagne dans une maison construite de ses propres mains. Bruno a l’âge d’homme. Avant de prendre définitivement son envol, il a encore quelque chose à demander à son père. Les retrouvailles entre le père et le fils, de ressentiment et d’affection mêlés, tournent vite à la confrontation.

Dès les premiers plans, on sait qu’anguille sous roche promet explosion imminente. Le titre, La main sur la gueule, cautionne lui-même ce programme ouvert par l’arrivée d’un train en gare. Mais voilà, Arthur Harari ne cherche pas à faire le malin avec un scénario psycho-affectif cousu de fil blanc. Toute l’angoisse de ce film, toute sa spectaculaire pesanteur – mal aimable, tendue, marquée par des accents de brutalités et d’émotions – reposent sur des choix tranchants de mise en scène. Ce retour à un cinéma hors normes dans un paysage du cinéma français surchargé de copiés-collés de la Nouvelle Vague, s’inscrit dans la lignée de cinéastes à part, de renégats comme Maurice Pialat, Jean-François Stévenin ou encore de l’Américain Monte Hellman. Au premier plan de ce cinéma, les acteurs. Leur physique – le nez cassé et la voix rauque de Jean-Louis, le père (Christian Chaussex), les yeux fuyants et le visage déjà hâblé de Bruno, le fils (Bruno Clairefond), la mûre sensualité féminine de Liliane (Shanti Masud) et le corps en déséquilibre d’un jeune habitant du village (Lucas Harari) – contraste avec la plate vanité heureuse de la plupart des adolescents issus des castings français. Filmés au plus près, ils incarnent et animent chaque scène d’un souffle unique. Au centre de ce récit ourdi de radicalité se trouve un sauvage : non pas le père isolé, mais le fils Bruno qui interdit toute sympathie et dont le caractère demeure opaque.

C’est autour de Bruno que s’organisent les lignes temporelles et spatiales du film. D’abord parce que la présence dans les lieux de Bruno convoque le passé : “B was here” est-il marqué sur une pierre, atteste d’un vécu – Bruno a été témoin de l’obstination de son père à construire sa propre maison – et inscrit un passage dans le temps, en rappelant que Bruno a quitté le trou perdu de la maison familiale et que son avenir promis par sa relation avec Liliane n’est plus de ces lieux. Et aussi parce que la présence physique de Bruno met à mal l’équilibre de chaque scène : surgissant d’une porte et bousculant Liliane, malmenant un jeune du village en mal de solitude, provoquant sans cesse son père, il fait de la scène à trois un topos impraticable. Arthur Harari situe à merveille l’espace de son film sur un fil ténu et déjoue ainsi l’écueil de la montée en tension classique du huis clos.

Dans La main sur la gueule, l’espace n’est jamais fermé. Au contraire, chacun a le pouvoir de fuir, de se tourner le dos. Il ne faut pas croire ce que l’on voit, ni chercher une herméneutique de ce qui est dit. Car contrairement à ce que l’on pourrait croire, La main sur la gueule n’est pas “un film sur la campagne”. L’un des premiers plans (l’arrivée en gare d’un train) promet une clôture inverse, si bien que la ligne d’horizon de la ville interagit comme acteur essentiel mais invisible. Les paroles, les cris, les silences, comme le chant gratté à la guitare un soir autour d’une table épousent une rythmique inspirée et font la part belle aux ellipses et ruptures de ton. Comme s’il s’agissait de plonger dans le degré zéro de l’échange, réduit à des desseins impulsifs et primitifs. Récompensé aux 4es Rencontres du moyen métrage de Brive et lors de la 5e édition de Paris Cinéma où il a reçu respectivement le Grand prix du jury et le Prix du public, La main sur la gueule condense les tremblements, les secousses, l’aridité d’une chanson composée autour des sentiments d’amour fou, de la filiation et de la liberté. Le cinéma d’Arthur Harari porte en lui la promesse d’un souffle nouveau. Son monde et ses images creusent leur propre sillon. Il serait dommage de les laisser passer.

Donald James

Texte paru dans Bref n°80, 2007.

Réalisation et scénario : Arthur Harari. Image : Tom Harari. Montage : Laurent Sénéchal. Son : Jean-Baptiste Haehl, Josefina Rodriguez et Mélissa Petitjean. Interprétation : Christian Chaussex, Bruno Clairefond, Lucas Harari, Shanti Masud et Anouk Halter. Production : Les Films du Dimanche.

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