2020 - 19 minutes
France - Documentaire
Production : Les 48° Rugissants et En Roue Libre.
synopsis
En 1946, huit mois après les bombardements atomiques, une équipe de cinéma de l’armée américaine réalise au Japon un long-métrage documentaire. Plusieurs bobines sont tournées à Hiroshima et Nagasaki, dont la 11 004.
biographie
Mirabelle Fréville
Mirabelle Fréville est devenue réalisatrice après avoir été programmatrice : après des études d’anthropologie politique et de cinéma, elle s’est occupée des achats des courts et moyens métrages pour Arte. En 1995, elle s’installait en Bretagne où elle devenait documentaliste sur des films d’archives et programmatrice de festivals de films, notamment le Festival européen du film court de Brest entre 1994 et 2001, mais aussi Doc Ouest et Travelling, à Rennes.
Elle réalisait son premier film, La source, en 2012, avant d'écrire L’or rouge avec Philippe Baron en 2014. Son court métrage La bobine 11004, produit par Les 48èmes rugissants, a été présélectionné pour concourir aux César 2022 dans la catégorie du meilleur court métrage documentaire.
Critique
“Tu n’as rien vu à Hiroshima”, déclamaient les personnages d’Hiroshima mon amour (Alain Resnais, 1959). C’est ce que l’on ressent dans les premières secondes de La bobine 11004 où des images subliminales viennent abruptement imprimer la rétine. Lors d’un travail de documentation, la réalisatrice Mirabelle Fréville tombe par hasard sur des archives couleurs filmées dans un Kodachrome enveloppant. Ces rushes ont été enregistrés en 1946 par des opérateurs américains partis documenter scientifiquement les effets des bombes nucléaires larguées sur Hiroshima et Nagasaki l’année précédente. Des images immédiatement placées “secret défense” pendant plusieurs décennies.
On discerne d’abord une sorte d’inventaire d’objets : du verre brisé, des éclats sur un mur, puis des éclaboussures de sang. L’effroi se déplie à mesure que la pellicule se déroule. La réalisatrice met en exergue une esthétique de l’image ébréchée et de la trace pour réhabiliter une population civile japonaise annihilée et profondément meurtrie. Le projet de La bobine 11004 serait aussi de montrer les répercussions de l’invisible. Presque aucune image de la bombe – si ce n’est dans son dernier segment –, et pourtant elle semble omniprésente, notamment dans ses répercussions perverses. La radiation serait ce mal rampant que l’on ne voit pas, excepté à travers ses empreintes d’une indécente violence. Les corps ayants survécus – que l’on prénomme les hibakusha (personnes affectées par l’arme atomique) – sont mutilés tandis que la maladie qui ronge la chair de l’intérieur est drastiquement dissimulée par les autorités. Le documentaire à la photographie saturée et presque muet exerce également un travail sur la bande sonore, d’un minimaliste anxiogène, comme pour donner un volume inquiétant à l’atome, mis en scène tel un élément monstrueux.
Dans ce court métrage d’archives, à la fois esthétique et politique, le geste serait aussi de mettre des mots, à l’aide de cartons-titres, sur des effets qui étaient alors volontairement tus. La démarche de la documentariste/documentaliste n’est pas seulement d’exhumer des images pour y jeter une lumière crue, mais aussi de les faire dialoguer, notamment via une satire avec un montage parallèle sur le discours propagandiste du président Truman – pour y dénoncer toute l’hypocrisie aliénante. Les bobines furent longtemps scellées pour ne pas alarmer l’opinion publique, le gouvernement se concentrant uniquement sur les soi-disant bienfaits de la “force” nucléaire tandis que dans une même décision funeste était enterrée l’une des plus grandes catastrophes du XXe siècle.
William Le Personnic
Réalisation et scénario : Mirabelle Fréville. Image : Harry Mimura. Montage : Denis Le Paven. Son : Margarida Guia Coelho, Denis Le Paven et Vincent Pessogneaux. Musique originale : Margarida Guia Coelho. Voix : Harry S. Truman. Production : Les 48° Rugissants et En Roue Libre.