L’attente
Alice Douard
2022 - 30 minutes
France - Fiction
Production : Les Films de June
synopsis
Céline, à la maternité, attend l’arrivée de son premier enfant. C’est Jeanne, sa compagne, qui va le mettre au monde. La nuit, dans le hall de l’hôpital, elle fait la connaissance d’hommes qui, comme elle, attendent.
biographie
Alice Douard
Née en 1985 à Bordeaux, Alice Douard étudie l’Histoire de l’art puis devient chargée de production chez Atlantique, avant d’être admise en section réalisation à la Fémis en 2009. Pour son court métrage de fin d’études Extrasystole (2013), inspiré d’un récit de Stefan Zweig, elle est honorée d’une Mention spéciale du jury au Festival de Clermont-Ferrand, ainsi que du Youth Award au Zinegoak Film Festival. Le film est en outre acheté et diffusé par Arte.
Tout en travaillant régulièrement en parallèle comme scripte et assistante à la mise en scène (Vincent n’a pas d’écailles de Thomas Salvador), elle a réalisé en 2015 Les filles, Prix du GNCR au festival Côté Court de Pantin, et en 2019 Plein ouest, ainsi que, dans l'intervalle, le téléfilm Robin (2017), produit par Cinétévé.
Elle rencontre un ample succès avec L'attente, interprété par Clotilde Hesme et Laetitia Dosch, qui remporte le César du meilleur court métrage de fiction en 2025. Inspiré directement par la naissance de sa fille, née de son mariage avec Marie Boitard, avec qui elle a aussi fondé la société de production Les Films de June, elle développe d'après le même récit son premier long métrage : Des preuves d'amour. Celui-ci est présenté en séance spéciale à la Semaine de la critique au Festival de Cannes 2025, avant d'être distribué ne salles par Tandem le 19 novembre.
Alice Douard continue de travailler en parallèle comme scripte sur des films d'autres cinéastes, comme Je le jure de Samuel Theis en 2025.
Critique
Fidèle à des territoires qu’elle explore plus intensément film après film, Alice Douard persévère dans l’exploration de la féminité et des rapports familiaux en transgressant le caractère sacro-saint des thèmes de la maternité et de l’accouchement. L’attente soulève sans tabou, mais avec beaucoup de subtilité, la question de la place de chacun(e) dans une famille homoparentale ; et réhabilite le modèle du couple en donnant – grâce à la complicité de jeu de Lætitia Dosch et Clotilde Hesme – une image moderne et réjouissante de celui que forment les protagonistes.
Le film épouse le point de vue de Céline, celle des deux qui n’est pas enceinte. Sous la lumière blafarde des néons de l’hôpital, elle cherche sa place et se questionne sur sa légitimité à devenir mère. Par la rencontre successive de futurs pères – eux aussi relégués au rang de spectateurs –, elle se prête à la confidence, comme un moyen de rompre l’isolement auquel ils sont tenus.
Les choix de mise en scène, en huis clos, nous immergent dans l’expérience des relations qui sont à l’œuvre : la spontanéité désarmante du dialogue, ponctuée de moments burlesques, brode une intimité avec le spectateur qui traverse tous ces états, parfois à l’intérieur même d’une séquence.
Les attentes que nous offre la vie sont rarement simples : incertitude, désir, crainte, impatience, ennui s’y succèdent et s’y mêlent. Le motif de l’accouchement, son état suspendu d’entre-deux n’y fait pas exception. Dans une époque où l’on ne sait plus attendre, Alice Douard travaille la temporalité au corps. L’attente s’étire, se distord, puis se tend dans ce dernier moment à deux, avant de devenir trois. Si l’avenir a beau être fixé d’avance, il laisse place dans le détail à l’indéterminable, laissant entrer la lumière de l’imprévu. Dans sa capacité à ménager des échappées, la réalisatrice présente également le couple comme une rive secrète, réconfortante. Et le film, par la délicatesse de l’observation, la juste distance et l’importance accordée au temps partagé, l’est aussi.
Parmi les scènes de maternité qui peuplent l’histoire du cinéma, rares sont celles qui se présentent comme un sujet concret. Alice Douard érige ce temps incompressible et universel de la naissance en un motif à part entière, bouleversant ainsi l’ordre des regards, se construisant en opposition aux représentations qui le définissent habituellement à l’écran. Son film se préoccupe de la place des femmes au cinéma ; mais pas uniquement. Il la questionne et la remet en jeu, dans un contexte et au sein d’une industrie hétéronormée. C’est aussi là que réside la force du récit, celle de faire vaciller l’ordre établi, de distribuer davantage le pouvoir à l’intérieur du cadre et hors champ. Dans l’œuvre d’Alice Douard, on scrute beaucoup et, ce faisant, on apprend à s’interroger sur l’héritage qui construit notre regard.
Léa Drevon
Réalisation et scénario : Alice Douard. Image : Sébastien Goepfert. Montage : Aymeric Schoens. Son : Olivier Schwob et Tristan Lhomme. Interprétation : Lætitia Dosch, Clotilde Hesme, Emilie Brisavoine et Julien Gaspar Oliveri. Production : Les Films de June.


