
2011 - 16 minutes
Suisse - Documentaire
Production : ÉCAL
synopsis
Un fils, un père. Le premier tient une caméra, l’autre est ambassadeur. La caméra tremble, l’ambassadeur pas.
biographie
Jan Czarlewski
Dès son court métrage documentaire L’ambassadeur et moi (2011) réalisé à l’École cantonale d’art de Lausanne, Jan Czarlewski (de nationalité franco-polonaise, né à Paris en 1988 et ayant étudié au préalable à la Sorbonne nouvelle-Paris III) connaît un beau succès, en remportant le Léopard d’or de la compétition nationale, donc suisse, des Léopards de demain au Festival international du film de Locarno.
Dans ce film, le jeune réalisateur raconte la relation difficile, lointaine, mais aussi tendre qu’il entretient avec son père en filmant et parlant avec celui-ci dans ses bureaux de l'Ambassade de Pologne en Belgique. S’en suit L’amour bègue (2011), court de fiction grâce auquel Jan Czarlewski reçoit cette fois le Léopard d’argent à Locarno et se voit sélectionné au Festival de Clermont-Ferrand.
Il réalise ensuite en 2013 le documentaire The Brick, autour d’un village du Myanmar vivant de l’industrie de la brique, puis revient en 2014 à la fiction avec Training , qui est sélectionné au FIPA de Biarritz, et Opération commando, nommé au Prix cinéma suisse 2017.
Entre 2015 et 2016 il a réalisé un documentaire de 50 minutes sur un aventurier polaire populaire en Pologne et qui a traversé l’Europe à pied de la Russie jusqu’à Saint-Jacques de Compostelle. De 2017 à 2019, il a travaillé pour la plus grande série documentaire d’archives historiques réalisée en Pologne après 1989 – Polskie 100 lat ( soit “Les 100 ans polonais”), où il a été responsable du scénario, de la recherche d’archives et de la réalisation de 8 épisodes sur 42, d'une durée de 30 minutes chacun.
En 2022, il signe un nouveau film documentaire, 1982, consacré à la situation politique en Pologne sur cette année cruciale, alors que la loi martiale avait été décrétée par le général Jaruzelski.
Il a été accompagné au Groupe Ouest pour le développement du long métrage Welcome in North Korea avec comme coauteure Carlotta Verny.
Critique
Des échanges de tennis entre un père et son fils. Ils ne partagent pas le même cadre ; ils se renvoient les coups comme dans une compétition acharnée. Une “voix-off”, celle du fils, Jan Czarlewski, aborde ses relations distendues avec son père et cette évocation proustienne de rattraper le “temps perdu” lors d’un accompagnement insolite – avec ce postulat assez candide de suivre son père au travail comme on pouvait, à l’école, faire des exposés sur le métier de la figure parentale.
Le documentaire suit Slawomir Czarlewski, l’ambassadeur de la République de Pologne en Belgique, mais ce n’est pas un film sur les arcanes politiciens à l’image du très conceptuel Pater d’Alain Cavalier (2011) ou de L’exercice du pouvoir de Pierre Schoeller (2011). On a plutôt affaire à un portrait pince-sans-rire (jusqu’à enregistrer le souffle de l’homme qui dort) avec des séquences solennelles filmées avec une distance amusée, mais aussi teintées d’une mélancolie muette, notamment des moments où Jan se met en scène isolé dans un plan.
Sauf qu’ici la caméra agit tel un outil de psychanalyse : “Arrête de filmer avec ta caméra !”, ordonne son père à Jan à plusieurs reprises, comme si l’appareil se substituait à un révélateur incongru des béances familiales. Derrière ce constat, L’ambassadeur & moi s’avère l’étude assez bouleversante d’une silhouette paternelle un peu fuyante, se réfugiant dans les responsabilités étatiques (feintes). À chaque question posée, le père refuse de répondre, se trouve dérangé ou se montre évasif.
Cette ambassade située à Bruxelles devient alors le petit théâtre administratif des comptes familiaux à rendre. Dans un bureau, dans une voiture de fonction, dans des dîners mondains, l’entreprise du jeune réalisateur est double. Elle serait à la fois la possibilité de percer l’image de l’homme politique – qui a les mêmes fragilités que le reste du monde – et d’aller au-delà du costume, des belles paroles (bien que l’ambassadeur soit peu capable d’exprimer quelques sentiments que ce soit à son fils) et à toutes ces mains serrées qui évoquent toutes ces étreintes manquées ; mais l’enjeu serait surtout une représentation de la complexité d’un cœur de père.
Un dernier échange, non pas de tennis, mais de mots – attendrissant, sincère et plus profond que prévu – opère un renversement des sensibilités. Et le projet documentaire aura été un catalyseur émotionnel, permettant de délier la parole et d’apprendre à poser sa caméra, une fois avoir bien regardé.
William Le Personnic
Réalisation, scénario, image et montage : Jan Czarlewski. Son : Jan Czarlewski et Laurent Kempf. Musique originale : John Kaced. Production : ÉCAL.