Extrait
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L’acteur

Jean-François Laguionie

1975 - 6 minutes

France - Animation

Production : Studio Auditorium du Languedoc

synopsis

Dans sa loge, un jeune comédien se maquille en vieillard. Mais sous son masque de jeune homme, quel est son véritable visage ?

Jean-François Laguionie

Jean-François Laguionie est l’un des plus grands noms du cinéma d’animation en France et sa réputation a largement dépassé nos frontières. Né à Besançon en 1939, il s’est passionné dès l’enfance pour le dessin.

Ayant rencontré Paul Grimault, il réalise plusieurs courts métrages à partir du milieu des années 1960 et reçoit la Palme d’or du court métrage au Festival de Cannes 1978 avec La traversée de l’Atlantique à la rame. Le César du meilleur court métrage d’animation suit l’année suivante. Fort de ce succès, Laguionie fonde à Saint-Laurent-le-Minier, dans le Gard, son propre studio : La Fabrique. Auteur de plusieurs romans, il en adapte certains à l’écran, signant enfin, en 1984, un premier long métrage : Gwen, le livre de sable.

Suivront Le château des singes, en 1999, puis L’île de Black Mór, en 2003. Laguionie œuvre également pour la télévision, mais il y alterne les fonctions d’animateur, de directeur artistique, de producteur ou de chef-décorateur. En 2011, son chef-d’œuvre, Le tableau, combine l’animation de peintures à l’huile avec un mélange de 2D et de prises de vues réelles. Le film obtient une nomination au César du film d’animation.

Il s’attèle alors à un nouveau projet, Louise en hiver, avec le soutien de la Région Bretagne, où il a désormais élu domicile. Le film arrive dans les salles françaises en novembre 2016.

L'année 2019 l'aura vu tout particulièrement mis à l'honneur, avec la sortie du long métrage Le voyage du prince, coréalisé par Xavier Picard, après que sept de ses courts métrages aient été distribués en salles par L'Agence du court métrage, dans des versions restaurées, au sein d’un programme intitulé Les mondes imaginaires de Jean-François Laguionie.

Laguionie revient en 2024 avec un nouveau long, Slocum et moi, présenté en compétition au Festival d'Annecy, où il s'était vu décerner un Cristal d'honneur cinq ans auparavant.

Critique

Charriant ses mondes imaginaires, le cinéaste français Jean-François Laguionie obtint en 1978 la Palme d’Or et le César du meilleur court métrage d’animation avec La traversée de l’Atlantique à la rame, une odyssée mélancolique sur les eaux de papiers découpés. Trois années auparavant, il réalisait L’acteur, un film de nuit et de coulisses. 

Dans sa loge, un comédien se maquille, se fabrique des rides, et son visage prend de l’âge. Le personnage de Laguionie a quelque chose des polars hollywoodien des années 1950, en moustache et en duffle-coat. Il croise le public au sortir du théâtre de l’Ambigu : des visages déformés eux aussi par le fard à joue. Si Paul Grimault ait invité ce jeune poète au cinéma bricolé à travailler dans son studio et avait produit ses trois premiers courts métrages, l’art de Jean-François Laguionie se démarque par une rêverie plus abattue, plus fataliste. Et l’ambiance urbaine et ténébreuse de L’acteur n’y coupe pas. 

L’acteur est un film nocturne, sur le camouflage et le monde du spectacle. S’il s’ouvre sur les notes douces d’une boîte à musique, laissant espérer un conte léger et enfantin, il prend vite une forme plus inquiète. Presque dangereuse. Le court métrage est intégralement muet, presque sans musique, réglé au rythme des bruitages, de portes qui grincent, de voiture dans la nuit, de pas sur le parquet et d’une horloge, surtout, qui empiète sur l’ensemble du flux et donne la cadence. Les percussions sonnent comme un égrainage étouffant de secondes, l’écoulement du temps qui glisse sur un homme, le comédien, dont on devine qu’il préserve un sinistre mystère. 

L’acteur est un jeu de dupes et de travestissement. Il met son comédien de théâtre – qui fait directement référence à la figure de Pierre Blanchar (1892-1963) – au centre du miroir à deux reprises : dans sa loge, avant la représentation puis, plus tard dans la nuit, dans sa chambre. Seul, de retour chez lui, sous les traits du jeune homme, un nouveau vieillard apparaît. C’est l’histoire d’un vieux qui se déguise en jeune homme qui se travestit lui-même en vieillard. L’acteur est ainsi une poupée gigogne, énigmatique, transfigurée, dépossédée. Entre la scène et la coiffeuse, entre la rue et la chambre, c’est une image changeante qui se balade. Devant le miroir, il n’y a plus de corps, juste une face suspendue, comme épinglée dans un ciel sans contours. Une énigme derrière la façade qui n’est simplement qu’une parabole de l’animation elle-même et qui demande avec relief : derrière les dessins, où sont les humains ? 

Arnaud Hallet 

Réalisation, scénario et animation : Jean-François Laguionie. Musique originale : Pierre Alrand. Production : Studio Auditorium du Languedoc.

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