Extrait

Karama, Karama

Camille Lugan

2014 - 29 minutes

France - Fiction

Production : La fémis

synopsis

Anwar est un Français d’origine algérienne s’installant à Dubaï pour finir un chantier sur lequel il travaillait depuis Paris. Le jour où il arrive sur le site, Anwar ne trouve pas Amir, le collègue qu’il devait rencontrer à son arrivée. Autour de lui, rien ne semble fonctionner normalement…

Camille Lugan

Née le 31 janvier 1989 à Paris, Camille Lugan a étudié la philosophie à l’ENS-Ulm, puis le scénario à la Fémis, où elle a réalisé en 2014 le court métrage Karama, Karama, qui obtenait alors le Prix du scénario au Poitiers Film Festival.

Après une expérience de programmation à Chicago en 2015, dans le cadre du Festival international du film, elle réalise un autre film court, La Persistente, produit par Caïmans Productions et présenté à Cannes, dans le cadre de la Semaine de la critique, puis au Festival Curtas de Vila do Conde en 2018.

Elle a également co-écrit plusieurs courts (parmi lesquels l’animation Un obus partout de Zaven Najjar, 2015) et longs métrages, dont les premiers de Samuel Doux et de Samir Guesmi, tout en développant le sien. De nouveau produit par Saïd Hamich, chez Barney Production, après un court métrage mené à bien ensemble, Pas le temps (2022), Selon Joy est présenté au Festival de venise 2024, au sein de la section “Giorni degli autori”, avant d'être distribué en salles par The Joker Films le 24 décembre 2025.

Critique

Rares sont sans doute les films réalisés à la Fémis à assumer une ambition esthétique aussi vaste que Karama, Karama, réalisé par Camille Lugan en 2014. Le fait de placer la trame narrative du film au sein du paysage urbain de Dubaï déplace d’emblée la définition que l’on peut donner à la catégorie du “film d’école”. À ce choix initial s’ajoute l’idée de construire un film qui, tout en interrogeant le lien économique et industriel entre la France et les Émirats Arabes Unis, trace de multiples passages. On découvre dès le début un homme, qui dira plus tard s’appeler Anwar, un Français parlant un peu l’arabe. Il vient de s’installer à Dubaï afin de terminer un chantier sur lequel il travaillait à distance, depuis Paris. Le jour où il arrive sur le site, Anwar cherche en vain un dénommé Amir, le collègue qu’il devait rencontrer à son arrivée. Mais le film, au fond, par-delà la quête du mystérieux personnage, capte la perte progressive des repères qui semblaient régir antérieurement la vie du protagoniste. Seul, Anwar va à la rencontre de personnages qui devraient lui apporter de l’aide. Seul, il tente de trouver son chemin.

Si l’acteur Najib Oudghiri porte littéralement le film, c’est que la caméra accorde une valeur inattendue aux attitudes du personnage. La caméra porte une attention rare par exemple envers son visage, révélant ses mimiques et permettant au spectateur d’approcher chaque émotion qui traverse Anwar : surprise, colère, abattement, enthousiasme, lâché prise… Rien ne semble échapper, sur le plan émotionnel, à la mise en scène. Le corps de l’acteur se trouve également mis à l’épreuve par le film, ce processus s’incarnant à travers la démarche dynamique et surtout de déambulation du personnage. À un moment précis, on assiste à un élan chorégraphique inattendu, en compagnie de deux jeunes hommes désœuvrés sur un parking. Anwar est perçu par le prisme d’une volonté aussi tenace qu’insondable : celle de retrouver un homme qu’il croit connaître. Et ce, dans un contexte dont il ne sait presque rien et qu’il souhaite faire sien, sans que la lumière soit faite sur les motifs profonds de ce projet de vie.

Karama, Karama devrait être une œuvre sur la réussite sociale : celle de l’Occidental investissant à Dubaï et jouissant du confort, mais aussi de la certitude. Camille Lugan propose toutefois de restituer de ce contexte une image opposée : on y voit l’à-côté des brochures touristiques, on reste à l’ombre des magasins de luxe, de l’architecture ultramoderne, de la vie nocturne animée. Le film semble se mettre à hauteur d’hommes(s), captant la vie ordinaire des travailleurs immigrés et la misère des ouvriers sur les chantiers. La quasi-absence de femmes est tout aussi parlante. La démarche de la cinéaste s’avère politique, mais avant tout philosophique. Une question se dessine : quelle place est laissée au doute existentiel dans un tel contexte ? L’errance a priori insignifiante d’Anwar revêt bientôt un sens métaphysique, puisqu’aucune réponse simple n’est formulée à l’issue de sa quête. À l’image de ses films ultérieurs (La Persistente, Pas le temps), Camille Lugan fait du cinéma un étonnant lieu du doute où les croyances liées au néolibéralisme mondialisé s’effondrent devant les incertitudes – et les convictions – humaines les plus intimes.

Mathieu Lericq

Réalisation et scnéario : Camille Lugan. Image : Noé Bach. Montage : Héloïse Pelloquet. Son : Clément Trahard, Sylvain Lambinet et Gaël Eléon. Musique originale : Somaticae et Olivier Voisin. Interprétation : Najib Oudghiri et Sajjad Delafrooz. Production : La fémis.

À retrouver dans

Focus sur...