Juliet dans Paris
Claude Miller
1967 - 18 minutes
France - Fiction
Production : Alizés Films
synopsis
Une jeune étudiante, seule dans Paris, se livre à d’étranges et sanglantes expériences dont elle est à la fois l’ordonnatrice et la victime.
biographie
Claude Miller
Né le 20 février 1942 à Paris et décédé le 5 avril 2012 dans la même ville, Claude Miller est l'un des réalisateurs français les plus importants de la période allant du milieu des années 1970 au début du XXIe siècle.
Formé à l'Idhec, dont il est sorti major, il a été assistant réalisateur, au milieu des Sixties, sur Trois chambres à Manhattan de Marcel Carné, Martin soldat de Michel Deville, Week-end de Jean-Luc Godard et Le diable par la queue de Philippe de Broca. Il signe alors plusieurs courts métrages : Juliet à Paris (avec Juliet Berto), La question ordinaire (1969) et Camille ou la comédie catastrophique (1971).
Son premier long métrage, La meilleure façon de marcher (1976), est un succès à la fois public et critique, nommé à six reprises aux César 1977, où il remporte celui de la meilleure photo pour Bruno Nuytten. Dans les années 1980, son réalisateur enchaîne les films marquants : Garde à vue, Mortelle randonnée, L'effrontée et La petite voleuse.
Il aura signé au total dix-sept longs métrages, dont Je suis heureux que ma mère soit vivante, coréalisé avec son fils Nathan Miller en 2009, et Thérèse Desqueyroux, son dernier film sorti post-mortem, adapté du roman de François Mauriac. Il a été nommé au total sept fois au César du meilleur réalisateur.
Critique
Une jeune étudiante débarque à Paris avec 30 000 francs en poche, soit de quoi tenir un mois. Entre ses cours à l’université de Nanterre et ses déambulations périurbaines, elle se réfugie dans un premier temps dans une chambre d’hôtel décatie, puis chez une amie. Partout où elle passe, son goût du sang est un marqueur toujours plus fort de sa différence et son isolement social.
Juliet dans Paris est le premier film professionnel de Claude Miller (1), réalisé sur ses fonds propres – Anatole Dauman ayant refusé, en 1966, de le produire – cinq ans après avoir quitté l’IDHEC, tout auréolé de son titre de major de promotion. Cinq années au service des autres, à des postes aussi différents que régisseur, assistant de production ou de réalisation. Il est très compétent, donc très demandé, au point d’en oublier ses propres projets et sa carrière de réalisateur. Sa collaboration avec Jean-Luc Godard sur plusieurs films – dont Deux ou trois choses que je sais d’elle et La chinoise – lui permet de remettre ses envies au premier plan. Juliet Berto fait partie des envies et du plan : à l’origine, Juliet dans Paris est une nouvelle parue dans la revue Fiction sous le titre de Sylvie dans Paris. Miller l’adapte en scénario et à l’image de sa comédienne. Le film est tourné en 16 mm, et là aussi le réalisateur peut compter sur ses réseaux pour travailler avec des professionnels aguerris, dont Pierre-William Glenn, alors jeune chef-opérateur diplômé de l’IDHEC et frère d’Annie, la jeune épouse de Claude Miller.
Outre la présence de Juliet Berto, Juliet dans Paris regorge de références au cinéma de Godard de cette fin des années 1960 : des plans fixes en forme de tableaux où la composition et la couleur sont magnifiées, l’utilisation de la voix off en continu du personnage principal, un son direct épuré, l’absence totale de musique, diégétique ou non, les gros plans sur les visages – en particulier la bouche et l’œil – et enfin tous les messages et slogans politiques, parfois quasi subliminaux, inscrits en lettres majuscules sur les murs de la capitale – “À bas l’impérialisme” – ou sur des accessoires – “Ne fais pas ça” – que l’on a le temps de lire dans la valise noire de Juliet.
Plus tard, le réalisateur aura du mal à reconnaître les qualités de son premier film – qu’il qualifiera de “déjection infantile de phobies qui ne peut plus toucher qu’un public indulgent” (2) – peut-être en raison des outrances visuelles et morales propres au cinéma engagé de cette époque : alors que Miller fait saigner un adorable chaton par Juliet Berto pour en boire le sang, Martin Scorsese, la même année, éclabousse lui aussi de sang vermillon le lavabo immaculé d’un G.I. dans The Big Shave. Ce choc des colorimétries est présent dans tout le film – les cirés jaune ou pulls orange des héroïnes sur fond de grisaille urbaine – et, tout en caractérisant les personnages et leur état d’esprit, permet d’accentuer les contrastes et le message qui en découle. La séquence de fin en est le meilleur exemple : le visage livide de Berto, en gros plan, de face et portant les lunettes noires chères aux vampires, se fend d’un sourire énigmatique alors que des larmes de sang jaillissent de ses yeux noirs puis coulent sur sa peau blanche.
Le trouble, la folie et la révolte étaient au centre des premiers films de Claude Miller. L’outrance et la provocation visuelle, le recours au cinéma de genre, très présents dans ses courts métrages suivants (3), étaient la volonté d’une expression politique violente, en apparence incontrôlable, et qui se réappropriait sans vergogne certains codes du film-tract. Les dix sept longs métrages qui suivirent démontrèrent la finesse, l’engagement et l’intelligence cinématographique de Claude Miller, et que ces premiers pas imprégnés de rage furent certainement pour lui l’apprentissage de la meilleure façon de marcher.
Fabrice Marquat
1 Serpent, son film de fin d’étude à l’IDHEC, date de 1962.
2 In Claude Miller, une vie de films d’Olivier Curchod (Les Impressions nouvelles, 2024).
3 La question ordinaire (1969, 10 minutes) et Camille ou la comédie catastrophique (1971, 35 minutes).
Réalisation et scénario: Claude Miller. Image : Pierre-William Glenn. Montage : Hélène Muller. Interprétation : Juliet Berto. Production : Alizés Films.


