Extrait

Je veux déguster

Léo-Antonin Lutinier

2022 - 25 minutes

France - Fiction

Production : Année zéro, Petit Film

synopsis

Antonin a trente-cinq ans passés, il n’est plus si jeune, sa fougue et son insolence auraient dû s’évaporer avec les années, mais il reste imprévisible dans ses relations sociales, ses relations d’amour et d’amitié. Il est souvent drôle, parfois pathétique, ou bien c’est le contraire. Qui pourra soutenir son endurance ? Antonin se cogne au réel, alors advienne que pourra, il finira en apnée.

Léo-Antonin Lutinier

Formé à l'école du Théâtre national de Strasbourg (TNS) entre 2004 et 2007, Léo-Antonin Lutinier (né à Paris en 1982) est avant tout comédien, présent à la fois sur scène et à l'écran – il est ainsi apparu dans plusieurs courts métrages (Le septième continent de Noé Debré en 2018, Son altesse protocole d'Aurélie Reinhorn en 2021…) et dans les longs métrages 17 filles de Delphine et Muriel Coulin (2011) et Médecin de nuit d'Élie Wajeman (2021).

Il est passé à la réalisation à travers un court métrage remarqué, Je veux déguster (2022), produit par Année zéro et dans lequel il tenait le rôle principal aux côtés de Sarah Le Picard et Sébastien Pouderoux. Le film a été doublement distingué a Festival du film court en plein air de Grenoble en 2023, à travers le Prix du jury jeune et le prestigieux Prix Juliet-Berto. Il a aussi décroché, la même année, le Grand prix du Festival du film de Contis et le le Grand prix de la meilleure musique originale au MCM, à Marseille.

Critique

Venu du théâtre, où il travaille depuis longtemps avec des partenaires (Sarah Le Picard, Samuel Achache) que l’on retrouve dans Je veux déguster, ou au gré de courts hautement appréciés par le passé, Léo-Antonin Lutinier semble littéralement plier, pour son premier film, le cinéma à ses désirs de jeu et d’expressivité.

Il invente pour cela un personnage, Antonin, dont il paraît assumer d’emblée, avec une séquence chorégraphiée face caméra précédant le titre et s’adressant bien plus au spectateur qu’aux autres protagonistes, que celui-ci – imprévisible et cyclothymique – sera un véhicule pour une performance “bigger than life”, et possiblement irritante.

Car c’est là que réside le paradoxe de ce beau court métrage, dans le hiatus entre ce qu’il raconte (un couple en crise, assez banalement) et les moyens déployés pour cela : tout ici semble en fait se conformer aux désirs hors normes d’un personnage pour lequel le monde est trop terne, jamais assez flamboyant. C’est en cela que Je veux déguster peut se risquer à de nombreux décrochages tutoyant l’artifice : cette danse/performance évoquée plus haut, Antonin déployant son désespoir dans un passage convoquant la tessiture de haute-contre d’un acteur/réalisateur n’hésitant pas non plus, dans la longue séquence de la salle de bains, à reprendre certains gags d’un spectacle préexistant. De même, l’embardée évoquant les films de chevalerie ou la scène au théâtre – dans laquelle Antonin interrompant la représentation par l’adresse à un comédien de ses amis pourrait préfigurer le Yannick de Quentin Dupieux – sont autant de manières de bousculer le récit en le mettant au diapason du personnage, plutôt que l’inverse.

De manière significative, on pourrait d’ailleurs écrire de la femme interprétée par Sarah Le Picard qu’elle doit endosser la part “classique” d’un récit de séparation (à elle les larmes, l’analyse et le ressentiment) tandis que Léo-Antonin Lutinier ne cesse de miner son propre film avec les affects d’un protagoniste ne correspondant pas aux standards et aux attentes du genre (“Je ne sais pas comment on fait une dispute amoureuse : je suis désolé”, confesse-t-il en toute sincérité). Quitte à imposer un ralenti (que l’on découvrira à contretemps mimé et non post-produit) à une compagne entrant provisoirement dans son jeu dans l’une des séquences les plus éloquentes. Là, l’artifice formel un peu poseur se révèle n’en être pas un et le retour à la vitesse réelle, imposé par Sarah, illustre une dernière fois sans doute la possibilité d’une entente entre raison et fantaisie. Le tout dernier plan – celui d’un retour à l’ordre des choses, contraint – n’en sera que plus bouleversant, gommant par la dissimulation de son visage toute la singularité d’un Antonin abdiquant (pour un temps ?) face à l’adversité.

Stéphane Kahn

Texte paru dans Bref n°129, 2024.

Réalisation et scénario : Léo-Antonin Lutinier. Image : Jordane Chouzenoux. Montage : Marine Benveniste. Son : Francis Berrier. Musique originale : Antonin-Tri Hoang, Clémence Jeanguillaume, Léo-Antonin Lutinier et Thibault Perriard. Interprétation : Lionel Dray, Sarah Le Picard, Léo-Antonin Lutinier, Sébastien Pouderoux, Lionel Dray et Samuel Achache. Production : Année zéro et Petit Film.

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