
2015 - 28 minutes
France, Belgique - Fiction
Production : Sacrebleu Productions
synopsis
Pour plaire à son père, et gagner l’amour qui lui manque, Jay, 14 ans, doit devenir un homme et trouver une copine. En forçant son entrée dans le territoire violent des hommes, Jay va tenter d’oublier qu’il est encore un enfant.
biographie
Zeno Graton
Zeno Graton, né à Bruxelles en 1990, est sorti diplômé de l’INSAS en direction de la photographie. Il a écrit et réalisé plusieurs courts métrages de fiction, primés dans de nombreux festivals internationaux, dont Mouettes (2013) et Jay parmi les hommes (2015), qui a été diffusé sur Arte et nominé aux Magritte du cinéma.
Il est également vidéaste pour différentes compagnies de théâtre, en Belgique et en France. Son premier long métrage, Le paradis, a été soutenu par la Cinéfondation et a été distribué en France le 10 mai 2023.
Zeno Graton a par ailleurs été l'un des membres du jury de la Queer Palm au dernier Festival de Cannes.
Critique
C’est un film qui marque avant tout par le regard de son protagoniste principal. Jay, dont l’enfance n’a pas disparu et l’adolescence à peine commencé. Perdu dans un monde étrange et intemporel, débardeur blanc et boule à zéro, il regarde son père travailler dans un gigantesque et mystérieux atelier. Qu’est-ce qu’il y a dans ce regard, souligné par un travelling avant, au début du film ? De l’admiration, de l’interrogation, un désir de tendresse, l’approche d’un monde adulte. Tout simplement celui d’un enfant qui cherche à se rapprocher d’un père qui le rejette de son groupe, de son milieu. Il faut le voir au début du film scrutant le moindre geste de cet homme viril et tatoué se préparant un steak ou, plus tard, l’observant réparer une voiture. La pulsion scopique, ici, est autant une demande d’affection que d’acceptation. Et il faudra à Jay passer par quelques épreuves, s’approprier avec maladresse la voiture de son père la nuit, et la rencontre d’une jeune femme bientôt inanimée, portée sur ses épaules, avant d’être montrée et embrassée devant la communauté des mâles adultes pour qu’affleure enfin la tendresse entre père et fils.
À revoir aujourd’hui Jay parmi les hommes, qui a été réalisé en 2015, on mesure aussi, au-delà de cet élan final, une forme de duel entre deux masculinités : l’une de groupe, massive et presque menaçante ; l’autre plus sensible et romantique. On le ressent d’autant plus que si le film, dépourvu de psychologie, est presque une étude de comportement physique, où les gestes et les mouvements sont primordiaux, il est aussi une allégorie plus abstraite dans laquelle les corps incarnent aussi des symboles.
Le monde que montre Zeno Graton est sombre, étouffant, presque futuriste. Cela tient à des choix très clairs de mise en scène, où il faut attendre la dernière séquence pour que le cadre s’élargisse et que la lumière du jour arrive. Aux côtés d’un Arieh Worthalter (le père) dont on découvrait presque, avec ce film, l’impressionnante justesse qu’on retrouvera ensuite régulièrement, il y a l’extraordinaire Anton Leurquin, météorite du cinéma dont on retient la nuance des regards, les imperceptibles sourires mélancoliques, la souplesse du corps et ces mémorables clignements d’yeux lorsque Jay s’allonge aux côtés de Cathy. Il arrive aussi et surtout à faire passer avec subtilité le passage à l’âge adulte. Quand Jay embrasse de force Cathy devant la communauté masculine, à la fin du film, il n’est plus l’enfant du début ; la maturité s’est emparée de lui.
Avec ce film marquant, qui devait se voir nommé aux Magritte du cinéma, en Belgique, Zeno Graton entamait une belle trajectoire qui allait lui permettre de réaliser Le paradis, son premier long métrage, sorti dans les salles au printemps 2023.
Bernard Payen
Réalisation : Zeno Graton. Scénario : Zeno Graton et Louise Dubois. Image : Juliette Van Dormael. Montage : Alice de Matha et Zeno Graton. Son : Lucas Le Bart, Romain Ozanne et Victor Praud. Musique originale : Valerio Selig et Raphaël Lecoquierre. Interprétation : Anton Leurquin, Arieh Worthalter et Judith Williquet. Production : Sacrebleu Productions.