
I Once Was Lost
Emma Limon
2023 - 11 minutes
Français - Fiction
synopsis
Un soir de 2008, mon père, John, s’est perdu dans la banlieue de Boston.
biographie
Emma Limon
Emma Limon a grandi à Boston, dans le Massachusetts. Après des études en littérature effectuées à Harvard entre 2009 et 2013, puis un Master en Histoire de l’art en 2015, elle rejoint la France pour se consacrer au métier de chef opératrice.
Diplômée de la Fémis en section “image”, elle poursuit en parallèle son activité en direction de la photographie et la réalisation. Son film I Once Was Lost a remporté le Prix de la presse Télérama au Festival de Clermont-Ferrand en 2023, ainsi que le Grand prix au Festival du film court en plein air de Grenoble et le Prix du jury à Off-Courts, à Trouville.
Son propre père en tient le rôle principal, tout comme il apparaissait dans Life is a Breeze (2020), son film de fin d'études de la Fémis.
On pourra trouver davantage d'informations sur son site personnel.
Critique
Il est des moments dans la vie qui semblent non événementiels, relativement insignifiants au premier abord, mais qui resteront pourtant éclairés d’une lumière particulière dans la mémoire de celles ou ceux qui les auront traversées. C’est un tel fragment autobiographique qu’Emma Limon a choisi de mettre en scène dans ce court film nimbé de l’aura du souvenir. Une poignée de minutes suffisent à la cinéaste pour déployer un univers à la fois tranquillement classique, maîtrisé, en même temps que teinté d’étrangeté et d’absurde. La fiction se fond dans une démarche documentaire : l’anecdote en question, Emma Limon l’a d’abord entendue relatée par son père. Elle y décèle alors un potentiel et lui demande, à lui qui n’est pas comédien, d’incarner son propre rôle dans son film et de raconter l’histoire à nouveau, au micro cette fois. Par le biais de cette voix off élégante, dosée à juste mesure, qui va nous guider dans le film, John Limon s’adresse directement à sa fille, qui nous offre par ricochet un détour dans sa vie intérieure.
Nous sommes à une époque sans GPS, au début des années 2000, dans la banlieue de Boston où Emma a grandi. Elle est en dernière année de lycée, c’est une veille de classe, mais son petit ami lui propose de venir passer la nuit chez lui. L’adolescente demande donc à son père s’il peut la conduire. Il accepte et, une fois sa fille déposée, réalise qu’il n’a pas fait réellement attention au trajet et qu’il n’a aucune idée de la route à emprunter pour rentrer chez lui. Au feu rouge, John qui ressemble pourtant à un homme aisé, installé dans la vie, se retrouve perdu, ne sachant pas quelle est la bonne direction. Commence alors un instant de flottement, celui-là même qu’Emma Limon a le projet de capturer comme point de bascule. Mine de rien, l’incertitude a ouvert une brèche dans le réel, et va nous donner, à John ainsi qu’à nous, spectateurs, accès à une forme de révélation.
Pour trouver une solution, il faut bien tenter des choses : John pousse la porte d’une boulangerie miraculeusement ouverte à cette heure tardive et passe commande, espérant demander un renseignement. Emma Limon a étudié au département “image” de la Fémis et l’on sent ici, mais sans ostentation, sa joie à capturer dans le cadre les feux de circulation, enchaînement d’autoroutes, typographies ou néons emblématiques des mythologies états-uniennes, une imagerie cinéphile qui a aussi accompagné intimement sa jeunesse. Dans le refuge onirique de cette boulangerie, avec ses vendeuses de donuts en uniforme, la femme à la bûche de Twin Peaks n’est pas loin. Si John Limon n’obtient pas directement le renseignement escompté, il reçoit cependant un cadeau inattendu et libérateur.
À travers cette péripétie minimale et la mise en scène de ce flottement tout intérieur, I Once Was Lost propose, dans une très belle économie de moyens et avec beaucoup de tendresse, une allégorie philosophique pleine de délicatesse.
Cloé Tralci
Réalisation, scénario et image : Emma Limon. Montage : Paul Gauthier. Son : Arman Mohammad, Adrien Cannepin et Sylvain Adas. Interprétation : John Limon, Julia Shephard, Bonnie Rice, Frances Restuccia, Nohemi Rodriguez et Brian Lynch. Production : Marine Schappely.