
Fortune
Robin Zimmer
2024 - 20 minutes
France - Fiction
Production : Robin Zimmer
synopsis
Ruben, locataire précaire approchant la trentaine, vit depuis quelques années en plein centre touristique de Paris. Il n’a jamais réussi à faire son trou. Il s’y est plutôt enterré. Les saisons sont passées, le temps a filé. Les incessantes vagues caniculaires, de plus en plus étouffantes, le contraignent à refaire surface.
biographie
Robin Zimmer
Robin Zimmer a, au cours de ses années fac, fait un passage à la rédaction des Cahiers du cinéma, avant de travailler sur des tournages en tant que régisseur, assistant décorateur ou assistant réalisateur. En parallèle, il réalise plusieurs courts métrages autoproduits, parmi lesquels Alcools (2023) et Fortune.
Ce dernier, dont il tient aussi l'un des rôles principaux, est sélectionné en compétition à Côté court, à Pantin, en 2024. Tout en entrant en écriture d’un long métrage de fiction, il enchaîne avec un nouveau film court, Le pont du vaisseau, qui est à son tour présenté à Pantin en 2025.
Critique
“T’as besoin de poésie !” / “Non, j’ai besoin de thune…” C’est entre ces deux répliques laconiques et abruptes que se niche Fortune de Robin Zimmer, film autoproduit présenté notamment au Festival Côté court de Pantin en 2024. Ruben en est le héros étrange, qui émerge de la Seine dans un Paris caniculaire. Cheveux longs, barbe épaisse, torse nu, un simple short, il semble obligé de s’immerger dans l’eau sale du fleuve pour résister à la chaleur insupportable de l’été. Ruben est interprété par le cinéaste lui-même, dans la tradition de ceux dont le corps même peut être qualifié de burlesque tant il surprend, vacillant même à un moment quand il glisse sur la chaussée, avant de devenir presque tragique, rongé par de mystérieuses plaques rouges qui l’affectent.
Dans Fortune, Robin Zimmer, au cœur de son film, est entre poésie et prosaïsme du quotidien. Son endroit de prédilection, un saule pleureur sur les quais, en est finalement le symbole. L’arbre, par son rideau de feuilles plongées vers le bas, est le rideau d’un petit théâtre de la vie par lequel s’échappent Ruben et son pote, voleur de vinyles chez Gibert. Pas de naturalisme chez le jeune cinéaste, mais un cadre solide (Paris l’été, écrasé par la chaleur et envahi par les touristes) pour mieux établir l’insolite. Les rencontres étranges, ou les situations décalées. Oui, Ruben a chaud et, contrairement à l’humanité qui l’entoure, il enlève ses vêtements, qui “le dérangent”. À la plage, ce serait normal ; dans la ville, cela détonne. Ainsi, sans l’affirmer, il fait presque aussi acte de rébellion.
Et même si elle est niée par les personnages du film, la dimension politique du film est présente dès le premier plan, d’une manière très frontale. Un plan montrant un personnage faisant la manche à côté d’une vitrine de luxe. La ville est traversée de touristes aisés pendant que d’autres, à commencer par le personnage principal, n’ont rien, si ce n’est une carte de crédit clippée au short, quelques euros sur le compte courant. Paris est en travaux, “pue la pisse” et se voit traversée de policiers et de militaires du plan Vigipirate. Ses garçons de café, toujours aussi désagréables, sont vite suspicieux au point de ne pas vouloir servir un expresso à un garçon presque nu (!). Fortune en sera donc le titre ironique, évoquant aussi le réchauffement climatique doublé d’une pollution de l’eau du fleuve.
Le film de Robin Zimmer n’est pas pour autant un pamphlet ou le fruit d’une assertion définitive. Non, c’est l’œuvre d’un garçon du XXIe siècle qui doute, créant un personnage de fiction doucement en colère, qui connait intimement les limites de sa solitude assumée. Hipster ou SDF, Ruben a “enfin le courage de ne plus rien faire de sa vie”, sans doute jusqu’à ce qu’il renaisse et sorte la tête de l’eau. Le jeune homme est libre de faire ce qu’il veut, tout comme le cinéaste qui filme ses personnages avec une grande inventivité narrative et formelle, les plongeant dans la ville au téléobjectif, sous un soleil de plomb ou en contre-jour. Ils apparaissent et disparaissent au fil de l’eau, réinventant une comédie humaine.
Bernard Payen
Réalisation, scénario, montage et production : Robin Zimmer. Image : Nicolas Hrycaj. Son : Thomas Bari, Simon Danna et Robin Durand. Interprétation : Robin Zimmer, Thomas Ducasse, Hugo Behar-Thinières, Marie Espinosa et Andrew Savage.