2012 - 23 minutes
France - Fiction
Production : Kazak Productions
synopsis
John, un jeune bodybuilder, se prépare jour après jour pour une compétition, les NPC Georgia Bodybulding Championships. Sa vie est un rituel, une mécanique parfaitement réglée. Concentré sur son objectif, il ne lâche rien, espérant atteindre sur scène cet instant de bonheur unique : le flow.
biographie
Hugues Hariche
De double nationalité française et suisse, Hugues Hariche est réalisateur et scénariste. Son premier court métrage, Les liens du sang (2003), a été produit par La vie est belle Associés. Il a été présenté à Côté court, à Pantin, et à Grenoble.
Flow, tourné aux États-Unis, lui a succédé presque une décennie plus tard, en 2012. Produit par Kazak Productions, il a été vu dans de nombreux festivals (Aix-en-Provence, Clermont-Ferrand, Tampere…) et a rapporté au réalisateur le Prix Révélation au Festival européen du film court de Brest.
Après un nouveau court avec Kazak en 2015, Metropolis (situé dans l'univers de la tecktonik), il se tourne vers l'écriture de formats plus longs et parmi plusieurs projets, développe Rivière, coproduction franco-suisse sélectionnée à Locarno en 2023 (dans la section “Cinéastes du présent”), avant d'être distribuée en France à l'automne de l'année suivante.
Critique
Lieu unique, locus solus à la réalité augmentée où l’on n’en fait jamais assez, où tout est performance et performatif, les États-Unis constituent un pays-planète plutôt étrange, miroir déformant sur le mode de l’excès, si proche mais surtout si loin. Avec Flow, film en partie autoproduit et tourné au nord des USA, dans le Montana, avec un appareil photo (le 5D) et une équipe réduite, l’auteur-réalisateur franco-suisse Hugues Hariche signe un court métrage bodybuildé dans lequel il suit l’entraînement spartiate de John, culturiste américain monolithique, prêt à tout sacrifier sur l’autel de sa passion.
Passion de la salle, du muscle, dans un pays où tout le monde passe par la salle de gym, où le pays lui-même, à commencer par ses villes et ses campagnes, tend à se transformer en une salle de sport géante, où l’adage “No pain, no gain” fait l’unanimité. Tout au long de cette œuvre, on sent bien la fiction comme le surgeon d’une base documentaire. Avec John Fournier, cet acteur qui – ça se voit – n’est pas un acteur né, mais un authentique sportif vivant réellement sa passion. Le show final, au Georgia Bodybuilding Championships à Atlanta, dont les séquences relèvent également d’une matière brute, renforce cet aspect reportage et prise de vue sur le vif.
De là sourd une fiction qui choisit non pas de ringardiser le culturisme, mais plutôt d’en donner une image hyper réaliste, crue, huilée et surexposée à souhait à travers un corps à corps avec cet homme-machine, taiseux, totalement ou presque isolé dans sa pratique comme dans sa vie. Triste sort aurait-on envie de conclure. Certes, mais ce serait oublier ce que le titre suggère et ce que tout bon sportif recherche : un état limite de bien-être, une accalmie euphorique du corps et de l’esprit. Appelons ça le “pump” ou le “flow” : c’est une séance d’auto-défonce. Au final, plus que le portrait tristounet d’un sportif obstiné, c’est bien de cela qu’il s’agit ici, de cette dépense d’énergie. Titre-cœur de ce court métrage[1] la dépense d’énergie (ou l’impossibilité de se dépenser), est un thème monumental et presque inhérent du cinéma américain.
Tourner un court métrage sur le culturisme participe d’une certaine manière du même geste que filmer aux/les États-Unis. Tout est dépense, tout est grand, trop grand, pour entrer dans le cadre. Les paysages comme l’acteur amateur : tout déborde. C’est le versant schizophrénique de ce bigger than life, son côté à la fois sacré et en même temps sa dimension toxique, malade, que révèle cette question fondamentale de l’échelle des plans qui est, seconde après seconde, à l’œuvre tout au long de ce Flow. Du gros plan iconico-pornographique du corps, du réel, tout cela face à rien, et puis tout à coup ce morceau du réel vu de loin et, vu de là, il paraît difforme.
Si l’on met de côté de la séquence du show tournée à Atlanta, peu de plans montrent John entièrement. On le voit sur un vélo comme un gamin de Stranger Things ou, plus encore, comme un trash humper, soit une version hardcore des États-Unis, issu d’un film d’Harmony Korine. Voilà John (et avec lui, symboliquement, l’Amérique), tout à coup, fragile comme un enfant… D’ailleurs, même si elle gicle comme un exprimé sans doute un peu trop littéral, l’image qui occupe le centre du film le dit bien : notre colosse a des pieds d’argile.
Donald James
1. Le sport est d’ailleurs également à l’honneur dans les films suivant d’Hariche, à savoir son troisième court, Métropolis (2015), et son premier long : Rivière (2024).
Réalisation et scénario : Hugues Hariche. Image : Williams Sean Price. Montage : Nicolas Desmaison et Jessica Menéndez. Son : Scott Johnson, Claire Cahu et Ivan Gabriel. Musique originale : Alexandre Wimmer. Interprétation : John Fournier, Michaela Landay, Shea Floyd, Michael Warshauer, Nicholas V. Costrini, Jenny Wright, Jae Matthews, Jared Bacon, Carl Dominique, Joseph Housel, Tony Vick, Tim Green et Matt Olson. Production : Kazak Productions