Extrait
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Felix in Wonderland

Marie Losier

2019 - 51 minutes

France, Allemagne - Documentaire

Production : Ecce Films, Volte

synopsis

Un voyage dans le monde de Felix Kubin et de ses expériences musicales et sonores grâce à son instrument de prédilection, le Korg MS20. Le portrait d’un artiste génial dans la tête de qui la musique ne s’arrête jamais. Où l’on accepte joyeusement de plonger dans la fiction des rêves et cauchemars qui hantent les chansons et créations sonores de cet artiste sans frontière, prince allemand de la musique électronique contemporaine.

Marie Losier

Marie Losier, née en 1972 à Boulogne-Billancourt, a étudié la littérature à l’Université de Nanterre et les Beaux-Arts à New York. Plutôt décalés, voire excentriques, ses œuvres explorent la vie et le travail d’artistes. Elle a ainsi réalisé de nombreux portraits de réalisateurs, musiciens ou compositeurs tels que George Kuchar, Guy Maddin, Richard Foreman, Tony Conrad et Genesis P-Orridge (The Ballad of Genesis and Lady Jaye, son premier long métrage, en 2011).

Ses films sont régulièrement présentés dans de grands festivals (Berlin, Rotterdam, Tribeca, etc.) et des musées tels que la Tate Modern, le Whitney Museum, le Centre Pompidou ou encore le MoMA.

Son deuxième long métrage, Cassandro, the Exotico !, a été présenté au Festival de Cannes 2018 (à l’Acid), avant de sortir en salles à la fin de cette année. Pour ce film, elle aura aussi reçu le prestigieux Guggenheim Award. L'année suivante, deux expositions importantes lui ont été consacrées : l'une à la Cinémathèque d'Athènes, l'autre au Jeu de Paume, à Paris, dans le cadre du Festival d'Automne. 2019 l'a vue en outre revenir au format de moyen métrage, à travers Felix in Wonderland, dédié au compositeur et musicien allemand Felix Kubin.

Plusieurs clips et courts métrages ont suivi, dont le très court Which is Witch ? en 2020. En 2025, elle a filmé, dans le documentaire Peaches Goes Bananas, la chanteuse Peaches, icône queer et féministe.

Marie Losier est désormais également enseignante à la HEAD, Haute École d'Art et de Design de Genève.

Critique

Avec Felix in Wonderland, Marie Losier, grande portraitiste rompue à l’exercice de côtoyer des freaks créatifs par l’intermédiaire de sa caméra, plonge dans l’univers hautement singulier de Felix Kubin, musicien et performeur allemand dont l’approche expérimentale de la musique électronique devient la matière même du film. Comme souvent, chez la cinéaste, son documentaire est un laboratoire où se tiennent deux recherches conjointes, qui s’abreuvent l’une de l’autre : celle du sujet et celle de l’objet. Felix Kubin avance à tâtons dans l’exercice de son art, en mouvement perpétuel pour trouver de nouvelles idées, tandis que Marie Losier l’apprivoise avec sa caméra, comme on approcherait une chimère en pleine réflexion. Mais ici, filmer un artiste au travail devient le début d’un conte.

C’est probablement ce que le film produit d’abord de plus évident, cette capacité à restituer à l’image, avec une infinie tendresse, à quel point Felix Kubin peut fasciner. À la fois enfantin et intellectuel, dandy et sauvage, il s’applique à décortiquer le monde autour de lui pour en extraire les plus vives inspirations et nourrir sa musique. Mais Felix in Wonderland ne se contente jamais de le laisser poliment bosser ou divaguer. Il prend la mesure de ses expérimentations. Comme si Marie Losier, par l’intermédiaire d’un autre créateur, touchait du doigt un processus de révélation pour son propre art. Deux fréquences se rencontrent pour tenter de vibrer à l’unisson.

Felix in Wonderland est ainsi essentiellement articulée autour de la recherche de sons, de leur matière. Plonger la tête dans une baignoire pour en palper l’écho, laisser un chien grignoter un micro pour enregistrer le bruit de crocs et de langue, demander à sa mère d’entendre comment elle résonne dans un frigo... Toutes ces expérimentations qui jalonnent le film racontent une chose : combien les artistes, derrière leur apparente excentricité, peuvent être des travailleurs acharnés. Il ne s’agit pas de prendre le large comme un explorateur inconséquent, mais de se réajuster sans cesse. Pourtant cerné par des centaines de vinyles, à parcourir les labels et les pochettes, à circonscrire toutes les influences possibles, il se dégage une image de grande solitude. C’est cette attraction de Felix pour ce son de Youri Gargarine, seul dans une capsule dans l’espace, à vouloir capter des bruits laissés à l’abandon. Il y a toujours un moment où l’artiste, quel qu’il soit, se retrouve seul avec son instrument. Ici, le synthétiseur Korg MS20 de Felix Kubin, et la caméra 16 mm de Marie Losier.

En scrutant aussi affectueusement son alchimiste, Marie Losier n’en obtient pas seulement un portrait vivace et émouvant, mais fabrique une créature hybride, un monstre mutant. Tour à tour grand méchant de science-fiction, ange au regard métallique, ventriloque inquiétant ou chirurgien gore, Felix Kubin, passé par l’œil de la cinéaste, est une bête polymorphe. Et son corps longiligne et saccadé est le parfait écrin pour mêler sa chair avec les sons électroniques qu’il ne cesse de traquer. C’est comme si des ondes fantômes avaient imprégné la pellicule et traversé le songe d’un être synthétique. Un sortilège qui se tient toujours à mi-distance entre la haute exigence de la besogne et une certaine philosophie du chaos.

Arnaud Hallet

Réalisation et image : Marie Losier. Montage : Aël Dallier-Vega. Son : Aël Dallier-Vega, Marie Losier et Janis Grossmann. Musique originale : Felix Kubin. Production : Ecce Films et Volte.

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