Extrait
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Falling Leaves

Alice Guy

1912 - 12 minutes

États-Unis - Fiction

Production : Solax

synopsis

Winnifred est atteinte de tuberculose. Lorsque le médecin annonce à sa jeune sœur, Trixie, que Winnifred mourra lorsque la dernière feuille de l’automne tombera, celle-ci prend ses mots au pied de la lettre. Trixie tente de la sauver en attachant les feuilles mortes aux arbres avec de la ficelle.

Alice Guy

Née à Saint-Mandé le 1er juillet 1873, Alice Guy a assisté à la présentation du Cinématographe des frères Lumière, dans le quartier de Saint-Germain-des-Prés à Paris, le 25 mars 1895. Alors secrétaire de Léon Gaumont, directeur du Comptoir général de la photographie, elle sait que son patron a l'intention d'investir dans le cinéma et lui soumet l'idée d'écrire de petites histoires à faire jouer par des acteurs.

En 1896, elle n'a que 23 ans lorsqu'elle tourne son premier petit film de fiction, sur la terrasse d'un bâtiment désaffecté de Belleville  : La fée aux choux. Elle se voit alors confier la direction d'un service spécialisé dans les vues animées de fiction, au sein duquel elle réalise elle-même de nombreuses œuvres courtes – sans doute plusieurs centaines – et où elle fait débuter Ferdinand Zecca ou Louis Feuillade. On lui doit notamment une Vie du Christ considérée comme le premier péplum de l'histoire et plusieurs films se moquant du sexisme, comme Les résultats du féminisme, Une femme collante ou Madame a des envies, tous de 1906.

Elle s'envole el'année suivante aux États-Unis avec le caméraman Herbert Blaché, qu'elle vient d'épouser, et y ouvre sa propre société de production, la Solax Film Co, et ses studios. Elle aborde tous les genres, dont le mélodrame, à travers Falling Leaves, en 1912. A Fool and His Money, la même année, est le premier film interprété intégralement par des acteurs afro-américains.

La saisie de la Solax par le fisc en 1920 et son divorce en 1922 la conduisent à revenir en France, mais elle ne travaillera plus jamais pour le cinéma jusqu'à sa disparition à l'âge de 94 ans en 1968. Son importance sera longtemps invisibilisée dans l'Histoire du cinéma mondial, même si elle aura reçu la Légion d'honneur en 1955, avant qu'Henri Langlois lui consacre une rétrospective à la Cinémathèque deux ans plus tard. Certains de ses films ont été abusivement attribués à d'autres.

Ses mémoires, Autobiographie d’une pionnière du cinéma. 1873-1968, sont parues chez Denoël/Gonthier, tandis qu'un prix porte désormais son nom, récompensant chaque année un long métrage réalisé par une réalisatrice parmi les sorties de l'année écoulée.

 

Critique

On reconnaît à Alice Guy d’avoir réalisé en 1896 l’un des tout premiers films de fiction de l’histoire du cinéma : La fée aux choux. Mais cette reconnaissance tend à s’accompagner de l’idée, formulée par la plupart des historiens du cinéma pendant des décennies, que la cinéaste n’a laissé que la trace de films de fiction classiques, sans grand intérêt, voire carrément mièvres. Ce qu’on semble reprocher à Alice Guy, au moins à demi-mot, est son appétit pour les histoires truculentes, touchant souvent à la vie quotidienne, auxquelles elle tient à ajouter un élément fantasque ou pleinement fantastique. Or, cela serait oublier le sel qui alimente les films pendant la décennie où elle travaille pour Gaumont (1897-1907), à savoir le penchant de la cinéaste pour le renversement des valeurs, notamment en ce qui concerne les rôles sociaux de genre. Dans Les résultats du féminisme (1906), elle imagine un monde dans lequel les femmes se comporteraient comme des hommes, et vice-versa. Au-delà de l’amusement qu’un tel renversement produit, Alice Guy exprime subtilement ses positions sur la société de son temps.

Au début des années 1910, elle émigre aux États-Unis avec son mari Herbert Blaché, ce dernier étant mandaté par la maison Gaumont pour promouvoir la firme outre-Atlantique. Le couple décide se doter d’un outil de production pour travailler à son compte. Le studio de la Solax Film Co. s’installe dans le New Jersey en 1912. À bien regarder les films produits pendant la période, l’acuité sociale de la cinéaste demeure prégnante. Elle s’affirme même encore, l’amenant à réaliser le premier film interprété uniquement par des acteurs afro-américains : A Fool and His Money (1912). Mais Alice Guy ne renonce pas pour autant à la dimension mélodramatique. Falling Leaves (littéralement “Les feuilles qui tombent”) en est l’exemple patent. Elle y raconte un drame familial déchirant : un médecin vient apprendre aux parents d’une adolescente (Winifred) que cette dernière est atteinte de la tuberculose et qu’elle ne survivra pas. Sa vie continuera “jusqu’à ce que la dernière feuille ne tombe”, affirme-t-il. Le prenant aux mots, la petite sœur de l’adolescente, Trixie, tente de ralentir l’inéluctable chute des feuilles. Heureusement, l’inoculation d’un vaccin viendra finalement signer le salut de l’adolescente.

Comme dans les films d’Edwin S. Porter de la même période, ceux d’Alice Guy respectent deux principes : la concentration des éléments visuels dans des plans-tableaux frontaux et l’usage des intertitres pour l’explicitation de la trame narrative. L’efficacité esthétique est au service de l’émotion. Dans Falling Leaves, Alice Guy s’appuie sur la combinaison entre l’imminence de la mort et la croyance de Trixie en la rémission de sa sœur. Ce geste mélodramatique renonce à la vision purement mélancolique du tuberculeux proposée par le photographe Peach Robinson (Fading Away, 1858) ou par le peintre Edvard Munch (L’enfant malade, 1886). Alice Guy troque l’auscultation sombre pour une chronique lucide teintée d’espoir. D’autant qu’en 1912 les recherches scientifiques relatives à la vaccination contre la tuberculose sont encore expérimentales ; il faudra attendre les années 1920 pour que le BCG (soit le “vaccin bilié de Calmette et Guérin”) se diffuse largement. Aussi Falling Leaves, derrière sa simplicité apparente, démontre-t-il une énième fois que l’aspect fantas(ti)que du cinéma d’Alice Guy relève d’un profond engagement que l’on pourrait qualifier de visionnaire.

Mathieu Lericq

Réalisation et scénario : Alice Guy. Interprétation : Mace Greenleaf, Blanche Cornwall et Marian Swayne. Production : Solax.

 

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