Extrait
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Et toujours nous marcherons

Jonathan Millet

2017 - 25 minutes

France, Belgique - Fiction

Production : Films Grand Huit, offshore et Hélicotronc

synopsis

Ils sont ceux dont la marge est le territoire, ceux qui passent sans qu’on ne les voit. Ils n’ont pas de papiers et parlent mille dialectes. Simon débarque à Paris et suit leurs traces. Il plonge dans les tréfonds de la ville pour retrouver celui qu’il cherche.

Jonathan Millet

Né à Paris, Jonathan Millet a fait des études de philosophie. À la suite de ses études, il part seul avec une caméra pour filmer des pays lointains ou inaccessibles (Soudan, Pakistan, Colombie, Iran...) pour des banques de données d’images. 

De retour en France, il réalise trois films documentaires : Ceuta, douce prison (2013), sélectionné dans plus de 60 festivals internationaux, Dernières nouvelles des étoiles (2017), tourné en Antarctique et La disparition (2020) tourné en Amazonie. Parallèlement à ses réalisations documentaires, il réalise plusieurs courts métrages de fiction, dont Old Love Desert (2012), Tu tournes en rond dans la nuit et tu es dévoré par le feu (2015), Les dominos (2020) et Grand huit (2020). 

En 2018, son film Et toujours nous marcherons est sélectionné aux César et son moyen métrage La veillée sort en salles. Il est aussi nommé "Talent en court" par le CNC la même année.

Son premier long métrage de fiction, Les fantômes, est sélectionné pour l'ouverture de la Semaine de la critique au Festival de Cannes 2024.

Critique

Il fait nuit noire. Un homme marche d’un pas soutenu au bord d’une route, mal éclairée, les mains dans les poches de son sweat. Les notes vibrantes d’un tempo de musique électronique l’accompagnent, volontiers anxiogènes. Dès ce générique de début, le mouvement est au cœur du projet de cinéma : Simon arrive à Paris, venu du Cameroun dans le but de chercher son frère aîné, dont il n’a plus de nouvelles depuis un an. Sa mère s’en inquiète, forcément, et le jeune homme va s’échiner à mener l’enquête pour recueillir des informations sur le trajet de son aîné, sollicitant les témoignages et exploitant le moindre indice. 

Les films prenant comme argument narratif celui des migrations sont légion dans le court métrage, comme dans le jeune cinéma d’auteur – et c’est le contraire qui eût étonné, étant donnée l’urgence souvent dramatique de la problématique, dont l’exploitation par certains politiques ne doit pas occulter les enjeux humanistes qui doivent, plus que jamais, être (r)éveillés. Mais Jonathan Millet décale sensiblement le regard habituel porté par les œuvres de cette tonalité, son personnage n’étant pas un exilé volontaire, mais un jeune adulte missionné pour retrouver son grand frère évanoui dans la jungle urbaine occidentale. Dès lors, il touche du doigt très concrètement tout ce qui fait le quotidien – éprouvant, maintenant dans un état d’urgence et d’insécurité – de la vie des migrants, entre les foyers et la rue, avec le constant réflexe à fuir les forces de l’ordre – non plus en marchant, mais en prenant ses jambes à son cou. Aucun manichéisme n’alourdit l’écriture, tandis que Simon se trouve comme pris en étau entre différentes injonctions culturelles : on ne déçoit pas les siens quand on est parti, tout constat d’échec étant possiblement un déshonneur pour son sang, mais comment réagir à la perspective de se voir propulsé vers un destin – de clandestin – auquel on n’est pas préparé ? Comme si la faillite de l’un poussait obligatoirement son cadet à reprendre le flambeau et à devenir le chef de famille présumé. 

Millet filme ce territoire de l’exil, aux marges de notre société, avec justesse et tonicité, s’appuyant sur un beau travail de sa chef-opératrice Elin Kirschfink, et fait s’entrechoquer les langues et les dialectes, alors que planent les ombres de chefs de villages “délocallisés” et qu’est ainsi véritablement délimitée une ville dans la ville (ici autour des quartiers de Château-Rouge et Château d’eau). Précisons que le cinéaste avait, peu de temps auparavant, signé Ceuta, douce prison, sur les routes de migration du continent africain (sorti au cinéma en janvier 2014), connaissant ainsi son sujet sur le bout des doigts et enracinant le réalisme cru d’Et toujours nous marcherons en employant, pour la plupart des comédiens du film, des non-professionnels – et sans-papiers… – tenant leur propre rôle à l’écran. 

Simon, campé par l’épatant Yann Gaël, “grandit” par la force des choses et les derniers plans du film, portés seulement par les bruits de la rue, puis plongés dans le silence d’un foyer assez sinistre et bordélique, où le jeune homme téléphone une fois encore à sa mère, entérinent le basculement de son projet de vie : il ne se mariera pas comme prévu au pays et devra se charger d’assurer à distance la subsistance de sa famille en leur envoyant de l’argent via Western Union. Autant dire qu’il est bien loin d’avoir fini de marcher… 

Christophe Chauville 

Réalisation et scénario : Jonathan Millet. Image : Elin Kirschfink. Montage : Mona-Lise Lanfant. Son : Mikaël Kandelman, Philippe Bluard et Aline Gavroy. Musique originale : Wissam Hojeij. Interprétation : Yann Gaël, Emilio Bissaya, Collin Obomalayat et Jean Bédiébé. Production : Films Grand Huit, offshore et Hélicotronc.

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