
En liesse
Sandrine Gilbert
2023 - 20 minutes
France - Fiction
Production : Ateliers Varan
synopsis
Montmartre, dans le square. Ils se croisent, se toisent et jouent. Autant qu’ils se reniflent, se lèchent et se croquent. Ces habitués s’y adonnent à cœur joie.
biographie
Sandrine Gilbert
Sandrine Gilbert vit à Rennes, après avoir passé dix ans à Paris en tant que documentaliste, travaillant à l'INA, à France Télévisions ou encore à BFM TV.
Réalisé au cours d'un stage de réalisation aux Ateliers Varan, le court métrage documentaire En liesse est son premier film, qui a été présenté en 2024 à Côté court, à Pantin, dans la section “Grand Angle”.
Critique
La silhouette d’une statue se détache sur le ciel encore taupe. Le parc est vide. Aux alentours, le quartier s’éveille doucement ; déjà les oiseaux chantent, le clocher sonne, quelques chiens aboient. Il est de ces espaces qui attendent en un sens d’être peuplés, qui n’existent que pour être habités, qui ne sont jamais aussi beaux que quand ils sont emplis de vie. Le square Nadar de Montmartre est de ceux-là. Et les trois plans qui le dépeignent en prologue de ce court métrage, décrivent une trajectoire en arc de cercle qui nous amène à l’endroit exact où s’éploiera le récit, et où adviendra la liesse : au ras du sol.
L’impatience qui les envahit est palpable. Stoïques ou surexcités, trois chiens attendent l’ouverture du portillon. Le parc, à présent nimbé de la lumière du jour, leur est familier. Il leur appartient et ils le savent. Un agent de la fonction publique vient enfin d’ouvrir les portes, c’est le moment. Ils le franchissent et déjà, les voilà partis, bondissant dans tous les sens, courant à toute allure, jouant inlassablement. Avec En liesse, Sandrine Gilbert opte pour un documentaire en huis clos à ciel ouvert. Jamais nous ne refranchirons le portillon, de sorte à focaliser notre attention et notre regard sur ce microcosme diurne, canin. À hauteur de chien, de leur point de vue. Les humains seront donc volontairement gardés hors champ, incarnés par leurs jambes, en position debout ou assise, et par leurs commentaires en off – concentrant une certaine portée humoristique quand la panique se fait sentir dans la façon d’héler leur chien qui vient tout juste de leur échapper.
De pelages en pelages, de robes en robes pourrait-on dire, l’image est brute. La caméra est embarquée à même le poil, sans traitement, aimantée à ces corps vifs, saillants et joueurs. Chaque nouvel arrivant est accueilli avec joie, ce sont des rendez-vous, des amitiés éphémères, des retrouvailles, peut-être parfois des rencontres. Et Sandrine Gilbert réussit à saisir quelque chose de beau dans la répétition des instants partagés, dans la manière de multiplier les mêmes moments pour que le temps se fige un peu au-dessus de ce parc. En liesse se tisse ainsi par choralité, y grouillent toutes sortes de boules de poils, de tous les gabarits, de tous les caractères et de toutes les personnalités. C’est palpable mais sans anthropomorphisme aucun, car le temps que leur accorde la réalisatrice concentre tout l’intérêt sincère qu’elle leur porte. Alors, on se pose avec elle pour les observer vaquer à leurs occupations, on ne fait rien d’autre qu’assister à leur récréation et c’est plaisant, apaisant. S’approcher au plus près pour essayer de comprendre ce qu’il se dit, tâcher de sentir la dynamique, de saisir la vivacité qui les anime sans jamais n’y avoir totalement accès, c’est ce à quoi s’applique ce petit bijou qui laissera le sourire aux lèvres vingt minutes durant. Capturer une énergie, incoercible ; une liesse.
Lucile Gautier
Réalisation, scénario et image : Sandrine Gilbert. Montage : Romina Del Rosario. Son : Édith Fleury, Maurizio Boris Molinaro, Daisy Schmitt et Vanara Vong. Production : Ateliers Varan.