Extrait
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Elle voulait faire quelque chose

Dodine Herry-Grimaldi

1994 - 13 minutes

France - Fiction

Production : Dodine Herry-Grimaldi

synopsis

Brigitte décide de tourner en deux jours un vrai film avec une vraie histoire. Elle engage son ami et ses voisins et recouvre son appartement de vingt kilos de farine pour reconstituer un paysage enneigé. Assise sur une chaise à roulettes, l’œil dans le viseur du caméscope, elle va réaliser son premier travelling.

Dodine Herry-Grimaldi

Née le 11 décembre 1958 à Landerneau (Finistère), Dodine Herry-Grimaldi a été révélée en tant que comédienne en 1992, à la faveur d'Un été sans histoire de Philippe Harel, qu'elle avait co-écrit. Le duo se reformera sur le scénario de L'histoire du garçon qui voulait qu'on l'embrasse (1994) et Les randonneurs (1997).

Elle avait déjà alors derrière elle une série de courts métrages : La paresseuse (1986), Une croisière orageuse (1987), Mes sincères condoléances (1988), Les fleurs de Maria Papadopylou (1993) et Je sais que tu es là (1994).

Elle est apparue aussi à la même époque dans Élisa de Jean Becker (1995) et a participé à l'écriture de Love, etc. de Marion Vernoux (1996). La même année sortait en salle un programme de deux de ses films : Elle voulait faire quelque chose et Je n'en ferai pas un drame, avec Philippine Leroy-Beaulieu. Elle obtient ensuite, en 2003, le Grand prix de la compétition nationale du Festival de Clermont-Ferrand pour un moyen métrage de 52 minutes : La patience d'une mère.

Elle s'oriente alors principalement vers la scénarisation de séries au long cours, plus grand public, comme Sous le soleil, Plus belle la vie et Cœur océan.

Elle a aussi écrit deux romans parus en 2003 au Castor astral : Après la sieste et Amours de jeunes filles idiotes.

Critique

On fait un film d’auteur. Donc… on tente des trucs !” (Brigitte)

1995. Le music-hall parisien Le Trianon n’a pas encore été rénové, il n’a pas l’allure qu’on lui connaît aujourd’hui, et c’est là que L’Agence du court métrage organise ses séances régulières devant plusieurs centaines de spectateurs invités à chaque fois. C’est donc dans ce grand théâtre un peu défraichi, alors équipé d’une cabine de projection, qu’on découvre Elle voulait faire quelque chose il y a près de trente ans. C’est un film modeste et aimable mettant en scène une jeune femme, Brigitte, décidant, un beau dimanche, de réaliser dans son salon, avec les moyens du bord, un film à grand spectacle. Voisins, voisines et petit ami (Vincent) sont enrôlés illico. 

À l’époque, pour les spectateurs avertis, la réalisatrice, Dodine Herry, n’est pas tout à fait une inconnue. Elle fut l’assistante de Philippe Harel sur le court métrage Deux pièces cuisine (1989) – tiens, un autre film d’appartement ! – et coécrivit le premier long de celui-ci, Un été sans histoires (1991), puis L’histoire du garçon qui voulait qu’on l’embrasse (1993). L’actrice principale d’Elle voulait faire quelque chose, Brigitte Bémol (quel patronyme !), jouait d’ailleurs avec elle dans Un été sans histoires.

Tout cela ressemble bel et bien à une histoire de famille. Des acteurs et actrices, tels les voisins de paliers de ce court métrage malicieux, squattent dans les films des uns, dans les films des autres. Et, à nos yeux de spectateurs, s’agrège rétrospectivement à ce court, qu’on peut voir comme une exhortation à l’audace et à la créativité par quelque moyen que ce soit, toute une tendre galaxie s’étendant, dans l’esprit, jusqu’aux Apprentis de Pierre Salvadori (1995) qu’Harel coécrira d’ailleurs.

Le plus cocasse, peut-être, c’est que ce film enlevé et doux est l’exact contemporain de La haine et qu’on y découvre, encore juvéniles, un Vincent Cassel chevelu et bouclé et un Mathieu Kassovitz faussement introverti. Le personnage bien mis joué par ce dernier annule, dit-il, son golf du dimanche pour aider Brigitte ; et il se livre surtout, running-gag délicieux, à son dictaphone dans une langue un rien précieuse (fibre fantaisiste du comédien-réalisateur dont seul Jean-Pierre Jeunet, dans Le fabuleux destin d’Amélie Poulain, saura se saisir un peu plus tard), loin de la “street credibility” que Métisse et La haine, ses deux premiers longs métrages, lui octroieront un temps.

Alors, Elle voulait faire quelque chose et La haine sont certes en noir et blanc, tous deux évoquent une nuit d’errance ou une journée d’ennui, tous deux mettent en scène un Vincent ou un Vinz interprété par le même comédien, mais on ne saurait faire, dans le fond et dans leurs conclusions respectives, plus dissemblables. À ce moment-là, Kassovitz prend le cinéma (très) au sérieux. Brigitte aussi, sans doute un peu, mais ses comparses de fortune beaucoup moins. Or, c’est tout le miracle d’Elle voulait faire quelque chose qu’à l’époque autant qu’aujourd’hui ce petit film bricolé s’assumant comme tel (et faisant de ses imperfections sa matière) s’impose avec une telle évidence.

Nous sommes au milieu des années 1990. C’est l’époque des caméscopes, pas encore de la DV qui apparaîtra peu après, en 1996. C’est un film en 35 mm qui cite Henri Alekan et qui s’appuie pourtant sur les usages alors contemporains de la vidéo domestique : révolution technique que le dialogue, incidemment et ingénument, associe à la Nouvelle Vague via une référence écrasante – le “J’ai envie de faire quelque chose” liminaire de Brigitte résonnant évidemment avec le “Qu’est-ce que je peux faire ? J’sais pas quoi faire…” d’Anna Karina dans Pierrot le fou. Et si le charme du film vient aujourd’hui en partie de cette patine vintage, on pourra profitablement associer la petite entreprise dominicale de Brigitte aux cassettes vidéo abritant les films “suédés” de cet autre éloge du “do it yourself” que sera plus tard – et à contretemps, lui – le nostalgique et analogique Soyez sympa, rembobinez de Michel Gondry (2008). Un double-programme idéal, en somme !

Stéphane Kahn

Réalisation, scénario et production : Dodine Herry-Grimaldi. Image : Perric Gantelmi d'Ille. Montage : Dodine Herry-Grimaldi et Nathalie Goepfert. Son : Florent Ravalec et Ken Yasumoto. Musique originale : Philippe Eidel. Interprétation : Brigitte Bémol, Vincent Cassel, Mathieu Kassovitz, Marie-Odile Chrétien et Patricia Herry. 

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