Extrait
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Electronic Labyrinth: THX 1138 4EB

George Lucas

1967 - 15 minutes

États-Unis - Fiction

Production : USC School of Cinematic Arts

synopsis

Dans un monde futuriste où les gens sont catégorisés par leur numéro et où chacun de leurs mouvements est sous surveillance électronique, personne n’a réussi à s’échapper - jusqu’à THX 1138.

George Lucas

En lui décernant une Palme d'honneur en 2024, le Festival de Cannes salue ainsi l'une des figures les plus marquantes et influentes au sein du cinéma américain, mais également à l'échelle planétaire, depuis un demi-siècle, et même plus…

Réalisateur et scénariste, mais aussi – bien sûr – producteur, George Lucas est né le 14 mars 1944 à Modesto, en Californie. Il reste évidemment dans l'Histoire comme le créateur de ce qui est devenu la saga Star Wars, dont il a réalisé le premier épisode, devenu a posteriori le quatrième – en VF La guerre des étoiles. Il devait assurer ensuite la mise en scène des trois opus de la deuxième trilogie, entre 1999 et 2005.

Également à l'origine, en tant que producteur, des aventures d'Indiana Jones, autre grand mythe cinématographique contemporain, il avait été initialement formé à l'Université de Californie du Sud, à Los Angeles, où il s'était montré particulièrement prolifique, réalisant neuf courts métrages entre 1965 et 1968, parmi lesquels Electronic Labyrinth : THX 1138 4EB, prélude à son premier long métrage, THX 1138 (1971). Ce dernier fut produit par Francis Ford Coppola, condisciple et ami de Lucas, avec qui fut créé le studio American Zoetrope. 

Il est à noter que Lucas ne compte qu'une seule nomination à l'Oscar du meilleur réalisateur : c'était en 1974 pour American Graffiti !

Critique

Même les plus grands ont été à l’école. Dans les années 1960, Georges Lucas, le papa de Star Wars, a fait ses pas à l’University of Southern California, à Los Angeles – une des premières universités au monde à s’ouvrir aux études cinématographiques (c’était en 1928). Douglas Fairbanks, Mary Pickford, Charlie Chaplin, Orson Welles… ont été quelques-uns des nombreux intervenants de l’USC qui a formé des centaines de cinéastes, tels Georges Lucas donc, mais aussi Robert Zemeckis (qui y réalisa son court The Lift), Richard Kelly (The Goodbye Place) ou encore plus récemment le réalisateur de Creed, Ryan Coogler (Locks et Fig) (1).

Au milieu des années 1960, Lucas gravite autour d’une petite bande d’amis – les dirty dozen (en référence aux Douze salopards de Robert Aldrich, sorti en salles en 1966…) – qui regroupe notamment le futur scénariste de Dirty Harry, John Milius, ou encore Walter Murch, le futur grand sound designer et le monteur et le scénariste qui collaborera avec Lucas à ses débuts. À des années lumières de Star Wars, Lucas apprécie alors un cinéma moderne, complexe, bricolé, à rebrousse-poil. C’est sous influence de la Nouvelle Vague française mais aussi et surtout de la Nouvelle Vague américaine, celle qui s’écrit déjà dans le documentaire et dans le cinéma expérimental, que Lucas enchaîne, année après année, la réalisation d’une série de courts métrages : Look at Life (1965), Herbie (1966), 1:42.08 (1966), The Emperor (1967), Anyone Lived in a Pretty (how) Town (1967) ou encore Filmmaker (1968)… Ces réalisations estudiantines portent des titres pour la plupart peu évocateurs et restent assez anecdotiques à deux exceptions près : celle de Freiheit (1966) et puis, surtout, celle d’Electronic Labyrinth: THX 1138 4EB (1967).

Electronic Labyrinth: THX 1138 4EB est un film matrice. Lucas le reprendra et le développera en version longue à travers THX 1138 (1971). Ce film trouve son précipité narratif dans les deux minutes de Freiheit : soit un homme qui court, s’échappe ; on le poursuit ; on entend – peut-être – des coups de feu. Que et qui fuit-il ? Où va-t-il ? Qui lui tire dessus et pourquoi ? Meurt-il ?

À la fin des Sixties, Lucas appartient à cette jeune génération marquée au fer rouge par l’emprise diégétique des films de Don Siegel, dont L’invasion des profanateurs de sépulture (1956) offre comme une synthèse : dans un monde en voie de “podisation”, de standardisation, dans une société aseptisée, codée et surcontrôlée, dépouillée de tout ce qui pourrait déborder (les émotions, ou la libre pensée), un homme, seul contre tous, se bat, s’échappe, dessine une autre voie.

Ainsi le long couloir d’Electronic Labyrinth: THX 1138 4EB évoque celui de L’armée des ombres de Jean-Pierre Melville (1969). Couloir de la mort, de l’exécution tragique, mais également lieu qui déshumanise l’être humain et dans lequel celui-ci est comme un animal pris au piège. Avant de basculer dans le cinéma grand public où les choses, les valeurs, sont presque toutes à leur bonne place, Lucas, à l’avant-poste du Nouvel Hollywood, propose une espèce de cinéma paranoïaque où le paranoïaque a raison de s’inquiéter, et où le héros prend même des allures christiques.

De Freiheit à Electronic Labyrinth: THX 1138 4EB jusqu’à THX 1138 (1971), les partis-pris visuels impressionnent tant par leur inventivité que par le flux de références cinéphiles (on pense notamment à Métropolis de Fritz Lang et à La jetée de Chris Marker, etc.). On plonge dans une société carcérale où les hommes, tels des médecins ou des malades couverts d’uniformes blancs, anonymisés, tatoués de chiffres extravagants sur le front, s’affairent dans le plus grand calme à des tâches obscures et étranges : opérations de codage, de chiffrage, de câblage dans une salle des machines qui pourrait être la salle d’une tour de contrôle. Tous les corps se ressemblent, les gestes s’additionnent sans logique dans une succession de gros plans qui font abstraction de l’espace et de l’espèce, et qui brouillent les repères. Le décor, quand il se laisse découvrir, met à jour des espaces vides tapissés de néons : des lieux sombres à la symétrie cyclique renversante, angoissante. Quant à la matière image et à la bande sonore, elles ne cessent s’entremêler, de bégayer. Brouillage, balayages digitaux par la surimpression de signes ou de chiffres cabalistiques. Rien ne raccorde. On ignore tout des émetteurs ou des récepteurs. Cette société hyper technicisée, rétro futuriste, est une société malade, dysfonctionnelle. Ajoutons que comme dans L’invasion des profanateurs de sépultures, tout le monde ici se comporte de manière robotique, sans exprimer la moindre émotion, dans le plus grand calme. Seul personnage à s’agiter, le héros. C’est la souris prise au piège. Véritable marginal, outlaw, papillon attiré par la lumière, une fois débarrassé du poids de l’oppresseur, il ne trouvera dans sa course éperdue vers la liberté que la mort. Amère conclusion. “Vivre libre ou mourir”, clamaient les résistants sur le haut plateau des Glières, en Haute-Savoie, à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Lucas, qui au début des années 1970 aurait pu être le réalisateur de Dirty Harry, en plus philosophe, surmonte le dilemme, résout l’insurmontable paradoxe : la vie n’a de prix que si on meurt libre, ou, alternative plus sombre : la liberté, c’est la mort. 

La suite de l’histoire est connue : une fois diplômé de l’USC, après ce film, Lucas fonde avec Francis Ford Coppola American Zoetrope. Et c’est sous cette bannière, avec des acolytes de l’université, qu’il signera son premier long métrage, son chef-d’œuvre : THX 1138.

Donald James

1. Plusieurs de ces films sont depuis peu référencés au catalogue de L’Agence du court métrage et disponibles à la location pour les diffuseurs.

Réalisation et scénario : George Lucas. Image : F.E. Zip Zimmerman. Montage : Dan Natchsheim. Son : Daniel Tueth. Interprétation : Dan Natchsheim, Jay Carmichael, David Munson, Marvin Bennett et Ralph Stell. Production : USC School of Cinematic Arts.

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